Diversité et traitement de l’info : le rôle des médias d’éducation permanente

Face au manque de diversité dans les industries médiatiques et dans l’information [1], les médias associatifs prennent des initiatives. Héléna De Bauw, journaliste de Télévision du Monde (TDM) et co-autrice du court-métrage « C’est quoi les migrations ? », primé dans le cadre du concours 2019, nous parle du rôle des télévisions associatives dans l’effort d’inclusion et de diversification des interlocuteurs à l’écran.

Télévision du Monde [2] est un média associatif d’éducation permanente. Cette maison de production co-crée des supports audiovisuels avec des acteur·rices du secteur non-marchand à qui elle donne la parole à travers un traitement immersif en profondeur dans l’émission TAM-TAM diffusées tous les dimanches sur La Trois. Comme Héléna De Bauw le précise : « Nous avons à cœur de mettre en avant les petites structures qui font un travail colossal au jour le jour et dont on ne parle pas toujours dans les médias  ».

De la diversité dans le traitement

Les sujets traités par TDM ont souvent une ambition inclusive. Ils donnent la parole à des publics qui ne l’ont jamais ou presque, des personnes qui font partie de groupes minoritaires. Le plus souvent, celles que l’on voit dans les médias grand public sont des hommes blancs. Selon le baromètre 2019 de l’AJP (Association des Journalistes Professionnels) sur l’égalité et la diversité dans la presse quotidienne, peu de progrès ont été observés sur les 6 dernières années. Le baromètre du CSA relatif à la diversité constate même une baisse de la visibilité de la diversité dans les médias audiovisuels belges. Seules 13 % des expert·es consulté·es sont des femmes et 6,25 % proviennent de la diversité ethnique. 80 % des journalistes ou des photographes sont des hommes dont 98,6 % sont blancs [3] ! Ces chiffres ne parlent cependant que du genre et de l’ethnie des interlocuteur·rices de la presse quotidienne. L’orientation sexuelle, l’âge, la classe sociale, la religion, la mobilité, la santé mentale et bien d’autres caractéristiques peuvent être sources de discriminations et sont à prendre en compte lorsque l’on parle de diversité. Ces discriminations peuvent se combiner et créer des formes d’oppressions spécifiques. Par exemple, les femmes noires, confrontées à la fois au sexisme et au racisme, auront moins de chances d’être représentées dans les médias grand public que les femmes blanches.

Image de TDM tirée du tournage du court métrage « C’est quoi les migrations »

Le manque de diversité dans le traitement de l’information se révèle de différentes façons. On pense souvent au plus évident : le choix des personnes consultées pour parler d’un sujet, celles que l’on voit à l’écran. Mais les sujets abordés et les angles de traitement sont aussi des choix potentiellement discrimants. En effet, tous les sujets ne sont pas traités et certains le sont souvent de la même manière. C’est le cas, par exemple, des violences faites aux femmes qui ont longtemps été occultées de la sphère médiatique ou traitées comme de simples faits divers. Il s’agit pourtant d’un phénomène de société important. Ce constat peut s’expliquer, en partie, par le fait que ce sont principalement des hommes qui produisent l’information et occupent les postes de décision.

Les funérailles de l’Imam Rachid Haddach est un exemple récent de cette occultation. Cet Imam extrêmement populaire auprès de la communauté musulmane bruxelloise est décédé en février 2020 sans qu’aucun média d’information classique n’en ait parlé. Pourtant, plus de 5000 personnes s’étaient rassemblées pour lui rendre hommage [4]. Si les médias n’ont pas accordé d’importance à cet événement, c’est vraisemblablement parce qu’aucun journaliste n’a repéré cette information dès lors que la communauté musulmane n’est pas suffisamment représentée dans les rédactions. C’est dans ce contexte que toute une partie des sujets qui devraient être traités, parce qu’ils sont porteurs d’intérêt public, ne le sont pas.

Des médias d’éducation permanente plus inclusifs

Sur base de ces constats, les médias d’éducation permanente prennent des initiatives. Il suffit de naviguer sur le site de TDM pour noter une différence dans le traitement de l’information. Sur TAM-TAM, un sujet aussi controversé que les salles de consommation à moindre risque (SCMR) de Liège n’est pas traité en interviewant Willy Demeyer, le bourgmestre de Liège, ni à travers l’avis de citoyens lambda. Ces sont les principaux intéressés, les usager·ères de drogues, qui ont la parole. « En tant que média d’éducation permanente, on a plus de temps et de marge de manœuvre pour traiter ces sujets. On ne doit pas trouver nos intervenants le jour même donc on peut se permettre d’aller chercher d’autres experts que ceux que l’on entend ou que l’on voit tout le temps. On peut aller chercher plus loin et faire ce travail de recherche d’intervenants qui n’ont pas assez la parole et qui militent pour les droits de ceux dont on ne parle pas ». Pour faciliter ce travail de recherche, TDM consulte Expertalia, un catalogue d’expert·es qui valorise des spécialistes de la diversité. « Après, je pense qu’on peut aller encore plus loin en termes de diversité ethnique dans nos sujets car on en fait jamais trop pour la diversité  ».

Laisser les choix de traitement aux principaux intéressés

Dans les émissions TAM-TAM de TDM, la diversité est mise à l’honneur à travers les personnes consultées. Que ce soit des femmes expertes, des jeunes engagé·es ou des professionnel·les de la petite enfance, la plupart sont des personnes qui n’ont pas souvent l’opportunité de s’exprimer à l’écran. Cependant, TDM laisse les journalistes décider du traitement de leur sujet. Ce sont des professionnel·les de la communication avec leur propre regard qui procèdent aux choix des sujets et des angles. Bien que l’équipe soit majoritairement féminine, les profils restent semblables et le risque de passer à côté de certains sujets ou de certaines manières de les traiter est présent.

Zin TV [5], un autre média d’éducation permanente, propose, entre autres, des ateliers de création audiovisuelle pour les citoyen·nes lambda. Cette démarche alternative invite les participant·es à choisir la thématique et l’angle qu’ils veulent aborder. S’ensuit tout un processus d’écriture et de création technique pour amener les participant·es à communiquer leur propre vision du sujet choisi. Cette approche permet aux publics précarisés ou issus de la diversité de participer aux débats publics et de faire passer leurs messages dans la sphère médiatique. Cependant, le média audiovisuel est un outil complexe et nécessite du temps, des moyens et des compétences pour se l’approprier et concevoir des contenus attrayants et clairs. Les démarches d‘éducation aux médias donnent la priorité au processus de création et insistent moins sur l’aspect qualitatif des productions, par manque de temps et de moyens. Ce manque de finition peut freiner leur diffusion et causer la frustration chez leurs créateur·rices qui mettent du cœur à l’ouvrage pour faire passer leurs messages. Malgré leur côté parfois « amateur », ces créations offrent des points de vue peu entendus dans le débat public et pallient au manque de diversité des médias grand public. Encore faut-il donner de la visibilité à ces productions pour qu’elles puissent élargir notre perception du monde.

Amédéo Cedrone

Retour sur « C’est quoi les migrations ? » un des court-métrages lauréats de l’édition 2019 de À Films Ouverts.

« C’est quoi les migrations ? » est un court-métrage hyperactif qui nous invite à nous pencher sur les migrations et les dizaines d’enjeux qui, mis en interaction avec celui-ci, font un état des lieux juste et percutant du phénomène migratoire en tant que système complexe. Le tout en cinq minutes et destiné aux jeunes, tenez-vous bien, dès 6 ans ! Une prouesse en matière de vulgarisation avec une multitude de thématiques abordées comme, entre autres, les frontières, les communautés et les ethnies, les droits humains, et même l’excision.

Image de TDM tirée du tournage du court métrage « C’est quoi les migrations »

Le ton du court métrage est pragmatique et percutant à l’image des questions que les jeunes (se) posent. Malgré une réalisation principalement orchestrée par des adultes, il donne la parole à des enfants issus de l’immigration, et les propos n’en sont que plus légitimes.

Pour voir et revoir ce court métrage, rendez vous sur https://www.afilmsouverts.be/Les-laureats-du-concours-2019.html

[1Des évolutions qui s’observent à la loupe, CSA, 24 avril 2018, barometrediversite.be/des-evolutions-qui-sobservent-a-la-loupe

[2Retrouvez tous les contenus produits par Télévisions du Monde sur http://televisiondumonde.be

[3AJP, 2019. Etude de la diversité et de l’égalité dans la presse quotidienne belge francophone, récupéré le 14/02/2020 sur http://www.ajp.be/telechargements/diversite/diversite2019/etude.pdf{

[4BX1, 2020. Plus de 5000 personnes rendent hommage au prédicateur Rachid Haddach, récupéré le 14/02/2020 sur https://bx1.be/molenbeek-saint-jean/des-milliers-de-bruxellois-rendent-hommage-au-predicateur-rachid-haddach/

[5Retrouvez tous les contenus produits par Zin TV sur https://zintv.org/

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