De la propagande terroriste à la déradicalisation : médias et discours de haine

Les groupes terroristes ont façonné une nouvelle stratégie de propagande et de recrutement en ligne. Celle-ci habille les idéaux des jeunes d’une théologie instrumentalisée. Quelle peut être la place de la déradicalisation ?

15 février 1989. Les derniers soldats soviétiques quittent l’Afghanistan dévasté, que l’URSS avait envahi dix ans plus tôt. Dans ces régions, l’islamisme se substitue au communisme et au panarabisme laïc comme idéologie de résistance et de libération. Ont suivi les attentats de New York, l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, offrant à l’Islam politique de nouveaux ressorts et relais en Europe.

Si l’essor de l’islam idéologique, politique, radical et hégémonique n’est pas récent, les réseaux sociaux numériques lui ont donné une diffusion inédite. Un des penseurs du jihad militaire, Abou Moussab al-Souri [1], ancien lieutenant de Ben Laden, a conçu une stratégie guerrière moderne (le terrorisme d’état) et diversifiée pour mener la guerre sainte. Elle repose sur un système horizontal décentralisé qui se démarque du modèle de communication de terreur façonné par Oussama Ben Laden. C’est cette stratégie qui s’est, aussi, imposée en matière de propagande médiatique et de recrutement.

La formule confond les types d’intervention sur le terrain et les contenus propagandistes déployés via les supports médiatiques, réseaux sociaux en tête. Elle y soutient comme préalables, outre le recrutement, l’autoradicalisation et l’endoctrinement individuels. Ce mode opératoire, en terrain réel et virtuel, repose, à l’instar des actions menées à Paris en novembre 2015, sur la multiplication d’actions spontanées lancées par des terroristes locaux radicalisés notamment via Internet, incités à déterminer, en milieu de vie, une cible adéquate, symbolique, assurant à leur cause une amplification médiatique sans précédant. Les terroristes pensent « global » et agissent « local », selon la formule consacrée.

Ce jihad contemporain théorisé par Al-Souri multiplie les zones d’action, conformément au projet politico-idéologique de Daech, en choisissant de répandre la terreur. Les terroristes, dans nos pays, appliquent ce projet à la lettre : comme Mohammed Merah, ils exécutent des soldats musulmans sous uniforme français dits pactisant avec notre société ; ils ciblent des Juifs, pour leurs liens soi-disant établis avec Israël, cherchant ainsi à s’attirer les faveurs des partisans d’une ligne dure en politique internationale ; ils s’attaquent aux représentants de l’ordre, ceux qu’ils estiment les empêcher de vivre comme ils le souhaitent ; ils visent les défenseurs du blasphème et de la liberté d’expression, s’en prennent aux lieux de plaisir et de « décadence occidentale », terrasses, salles de concert, enceintes de football, hôtels, hauts lieux du tourisme.

Susciter les clivages

But inavoué de la stratégie : susciter des réactions d’horreur dans la population, ainsi générer chez elle la multiplication des actes, propos [2] et discriminations xénophobes, ce mouvement ayant pour effet escompté de créer ou renforcer une solidarité entre musulmans et radicaux islamistes, faire naître en retour des divisions irrémédiables entre la population et minorités, pour, finalement, déclencher une guerre civile. En multipliant attaques et provocations, la stratégie radicale s’attend à ce que l’islamophobie se renforce, poussant ainsi davantage de musulmans à s’engager du côté des plus fanatiques [3].

La large et légitime médiatisation donnée aux pires atrocités résiste ainsi difficilement au procès mené contre l’involontaire publicité faite à la cause radicale. On en veut pour illustration le choix éditorial, opéré par certains organes de presse, comme Libération, de promouvoir en Une le portrait souriant de Abdelhamid Abaaoud, plutôt que le visage des victimes, quelques jours après les attentats de Paris. Cette médiatisation a suscité bien des commentaires réprobateurs, accusant l’idolâtrie envers un guerrier satisfait de son acte et la banalisation de la figure du mal.

Propagande branchée

Daech mène un combat multi-médiatique sans armes, dont la caractéristique première est, tout en combattant les valeurs démocratiques, de « renvoyer une image de modernité, en disposant de moyens comparables aux pays développés contre lesquels il se bat » [4].

Le contexte du déploiement propagandiste est complexe. Les belligérants sont nombreux, leurs combattants sont issus des quatre coins du monde, y compris occidental. Les organisations terroristes et militaires se font concurrence et tentent de décrocher le leadership local. Une guerre classique de conquête territoriale se double de préoccupations idéologiques, hégémoniques, religieuses, économiques, transnationales. De ce fait, la propagande de Daech vise plusieurs objectifs : élaborer une identité de marque, terroriser les adversaires, financer les opérations de terrain, et surtout, recruter de nouveaux adeptes, dont certains combattront leur propre pays.

Daech mobilise les supports de communication les plus divers, de manière à occuper en « marque monopole », le terrain de la visibilité médiatique : « Daech s’affiche en pleine lumière sur les supports de communication les plus prisés par la jeunesse, dont une partie se met en quête de symboles de contestation radicale de l’impérialisme occidental ». [5] Le jihadisme est ainsi la première organisation politique, antidémocratique, à planifier l’usage d’internet, des réseaux sociaux et même des smartphones pour procéder au recrutement de militants actifs. L’organisation fait ce qu’on appelle du « cross-media », stratégie favorisant les synergies médiatiques, pour y améliorer l’impact de ses messages interactifs et personnalisés. Ainsi, outre les habituelles vidéos de propagande, les groupes terroristes éditent des magazines en ligne, en arabe, en anglais et même en français, comme Dar Al-Islam ou Dabiq. Ces magazines ne se contentent pas de recruter, ils expliquent comment fabriquer une bombe, ou encore, comment maîtriser le tir sur cible. De vrais manuels mêlant préceptes idéologiques et aide aux actions terroristes.

Daech dispose de sites internet, de magazines, mobilise les applications vouées aux conversations en ligne. Cet usage multiple, massif et multidirectionnel des médias a un premier effet significatif : la démultiplication des intervenants. La source unique de messages, diffusés de manière hiérarchique, verticale, ouvertement et clairement jihadistes par Al-Qaïda, fait place aujourd’hui à un foisonnement de messages horizontaux complexes et élaborés. On estime ainsi le nombre de tweets relatifs à Daech à 40.000 par jour, et 2.600 sites internet [6].

Média-clé de la propagande, les réseaux sociaux fusionnent l’image du jihad et quelques éléments typiques de la culture numérique des jeunes. Les messages sont produits et diffusés par les jeunes Occidentaux pour les jeunes Occidentaux, dans le cadre d’une communication Peer-to-peer, ce qu’en termes publicitaires, on nomme le « user generated content », défini comme un message au contenu conçu et propagé par les utilisateurs finaux, non professionnels.

De son côté, La division Twitter de Daech est bien organisée, au point qu’Abou Bakr al-Baghdadi al-Husseini al-Qurashi, proclamé calife du groupe Etat Islamique en juin 2014, s’est fait surnommer le « calife Twitter ». Sur ce réseau social, plusieurs comptes officiels génèrent les campagnes de propagande, à partir de profils et avatars anonymes. Ce sont des comptes fermés, rendus quasi confidentiels, auxquels n’ont accès que 600 abonnés. Ceux-ci tissent entre eux une toile d’araignée par le biais d’abonnements croisés, élargissant le volume d’informations échangées aux différentes branches internationales de Daech. Les sympathisants d’un second cercle sont chargés de retweeter les informations pour inonder les réseaux, maillon visible plus exposé aux suspensions. Peu importe : 10% de l’activité du groupe sur Tweeter consisterait à rénover son réseau. Pour survivre aux suspensions, les sympathisants diffusent le nom de leurs comptes de réserve via des tweets ou leur texte de profil. Ainsi, leurs abonnés savent où les retrouver le jour où leur compte actif sera suspendu. Ces comptes de secours sont inexploités pendant ce temps, afin de ne pas éveiller l’attention de Twitter.

Outre La violence des images de massacres ou de décapitations, le groupe Etat Islamique délivre des messages positifs pour obtenir le soutien des populations et recruter des combattants potentiels. Sur Facebook, les auteurs des billets proDaech diffusent des contenus plus légers, de la vie quotidienne et des loisirs, propres à la sous-culture du réseau social. La propagande 2.0 exhibe ainsi de nombreuses photos de combattants à l’index levé, déclinaison djihadiste du « like », pouce levé de Facebook produisant un curieux message mixant à la fois la signification à l’appartenance jihadiste et l’iconographie propre aux jeunes Occidentaux. On y trouve également de nombreux « lolcats », accompagnés d’une légende humoristique. Les images de guerriers caressant des chats veulent gagner la sympathie, Ils indiquent avant tout que leurs adeptes maîtrisent les usages communs et les poncifs des réseaux sociaux.

Dissous dans les particularismes culturels et médiatiques locaux, le cyberjihadisme recrute dans toutes les sociétés, rénove la culture du jihad en y introduisant de nouvelles symboliques, dont le selfie [7]. Ces selfies et autres photos de propagande autoproduites rendent peu compte de la réalité de la guerre, donnent à voir une image idyllique des lignes arrière. Ces messages facilitent le rassemblement de nouveaux adeptes en montrant que le jihad est mené par des individus qui leur ressemblent, dans un contexte de vie qu’ils connaissent ou auquel ils aspirent, et que, pour les combattants, la guerre ressemble davantage à un camp de vacances qu’à un champ de ruines. C’est exactement ce que les enquêteurs ont retrouvé dans le smartphone et le compte Facebook de Abaaoud : des selfies avec d’autres combattants, un statut Facebook dans lequel le criminel se désigne lui-même comme un « touriste terroriste ».

Dans le même temps, traumatisés par l’exemple des images de la guerre du Vietnam, les Occidentaux rechignent à dévoiler l’horreur du conflit, craignant voir leurs opinions publiques se retourner contre eux. La voie est royale pour les propagandistes du « bonheur jihadiste ». Le réseau social est devenu un vecteur central du recrutement, dont évidemment, les usagers maîtrisent les fonctionnalités. Si on « like » un contenu, Facebook en propose un autre similaire.

De la même façon, une certaine forme d’unanimisme dans les propos et les prises de position sur Facebook, nécessaire à élaborer une hiérarchie dans un groupe virtuel et à maintenir la paix sociale à l’intérieur de celui-ci, façonne l’opinion. Plus les amis seront pro-jihad, plus Facebook proposera d’être ami avec des gens du même avis. Cet appairage affinitaire suscite ce qu’on pourrait désigner par l’endogamie extrémiste. La propagande djihadiste 2.0 tente ainsi de convaincre les jeunes musulmans d’Occident de « faire la Hijra », quitter la terre mécréante pour gagner un pays musulman. Et pour l’atteindre, de multiples arguments sont avancés : le salut ou la pénitence, le luxe, les filles, l’aventure, la violence, et pour justifier l’ensemble, la religion. Cette stratégie génère beaucoup de commentaires haineux dirigés contre l’Islam, dans les forums de journaux en ligne. Daech n’entreprend rien pour les décourager : elle escompte par ce silence cliver les sociétés occidentales.

Créer une image de marque

Pour continuer à occuper le terrain médiatique, Daech ne peut se limiter à diffuser des messages futiles. D’autres images figurent l’ultraviolence et l’horreur du sort réservé aux ennemis, « traîtres », « mécréants », « croisés », « sionistes » et leurs alliés. Elles sont adressées aux adversaires de l’organisation radicale, tout en renforçant la notoriété de leurs producteurs. Les images sont tournées et montées à la manière des productions filmiques occidentales ou vidéoludiques. Le casting des protagonistes, souvent d’origine européenne, sert également aux fins de recrutement : il faut que les candidats occidentaux au jihad puissent s’identifier aux combattants qu’ils voient. Sans doute, les auteurs de ses productions ont-ils ont vu plus de films d’horreur qu’ils n’ont lu le coran, ils sont imprégnés des productions hollywoodiennes ou de téléréalité et transforment la fiction en réalité.

Ce n’est plus le même plan médias qu’une dizaine d’années plus tôt. Les images sont désormais diffusées sur Youtube et cette réactivité dans la revendication, ajoutée à un traitement de l’image et une narration très occidentale, ont changé le paysage propagandiste.

Intelligence collective

La multiplication d’images du réel motive l’horreur de la plus grande masse. Mais elle suscite aussi la fascination obscène, un ressort de la consultation du net qui va permettre d’élargir le recrutement de sympathisants qui trouveraient là une conscience fière et une justification de leurs exactions. Les images de crimes tournées par des amateurs avec leurs smartphones, ne sont pas des éléments secondaires du programme global propagandiste. Elles complètent et enracinent les images de propagande professionnelles.

Les candidats aux actions terroristes contemporaines sont ainsi recrutés -outre les populations locales souvent mobilisées de force - parmi un public large, et en particulier des jeunes, musulmans ou non-musulmans qui se convertiront à cette vision de l’islam, avec pour objectif de les former si possible sur les champs de bataille et ensuite les réinjecter dans leur pays de départ pour y commettre un attentat non téléguidé de l’extérieur. Une stratégie dramatiquement payante, à l’occasion des attentats de Paris. Dans la guérilla numérique, tout le monde sait quoi penser, comment penser et comment faire, dans une forme d’intelligence collective. Les terroristes du Bataclan savaient mieux que quiconque quels symboles attaquer. L’objectif est de concevoir des terroristes voisins de palier et des communicants locaux.

Le religieux comme alibi social

Ces candidats au jihad armé, qui sont-ils ? Pour les observateurs, les processus de radicalisation des jeunes semblent issus de deux causes imbriquées : un sentiment d’abandon social d’une part, son instrumentalisation par des prosélytes religieux d’autre part.

Le sentiment d’abandon social, donnant lieu lui-même à un sentiment de discrimination si ce n’est d’oppression, conduit à une forme de ghettoïsation intériorisée, de repli sur soi. La réclusion progressive, parfois volontaire, conduit les jeunes touchés à récuser le respect des normes de la société. Les petits délinquants comme les plus fragilisés, indépendamment de leur niveau social, vont se révéler réceptifs à des idéologues religieux dénonçant radicalement leur oppression, aptes à leur offrir une porte de sortie dogmatique et un idéal romantique morbidement jubilatoire, une solution globale à leurs problèmes spécifiques. Si la plupart des jeunes se satisfont ou s’accommodent de leurs conditions de vie, d’autres, plus radicaux, trouvent en la religion le support idéologique nécessaire pour dénoncer leur mal-être et justifier leur violence contre la société.

Pour le sociologue Farhad Khorsohavar [8], cette transition inverse le paradigme de la dignité, offre aux jeunes la possibilité de s’inscrire dans une élite purificatrice, offre aux déclassés la possibilité et la légitimité divine de juger à leur tour, de punir et de condamner à mort ceux qui, croient-ils, leur dénient la dignité citoyenne. Le jihadisme leur donne un statut, un idéal, une visibilité, un rôle qu’ils présument héroïque, sans avoir à composer avec la nuance démocratique et la responsabilité individuelle. Le fanatisme religieux habille une rage antisociale. Le terrorisme a ainsi changé de visage : il ne s’agit plus d’extrémistes au bagage politique solide, forgé au cours d’années de luttes. La conversion est rapide et opportuniste.

Le recours à une identité religieuse spécifique permet aux candidats-radicaux de rompre avec un double déficit identitaire : ils ne se sentent pas tout-à-fait arabes ou musulmans, ne parlent pas tous correctement la langue de leurs aïeuls. Ils n’ont pas tous lu le Coran. Ils ne se sentent pas davantage européens, ne se reconnaissent pas dans certaines de leurs valeurs démocrates égalitaires et leurs principes. Le choix d’adhérer à une religion-coupole élude la question identitaire. Les radicaux se sentent former une « oumma islamiyya », nation islamique, transnationale ou linguistique, à laquelle on appartient en suivant des rituels initiatiques implicites dont le départ en Syrie, à des fins « humanitaires » ou guerrières. Ces guerriers de l’absurde affichent un mépris de la vie séculière dont jouissent les Occidentaux, puisque leur idéal de vie se trouve ailleurs.

Bataille perdue ?

Pour les Occidentaux, sur le fond, la reconquête de cette jeunesse radicalisée est loin d’être gagnée. Quelles sont les ripostes citoyennes possibles ?

Les programmes visant à endiguer le fondamentalisme radical doivent probablement tenir compte des facteurs sociaux sans récuser les facteurs religieux. Les uns alimentent les autres. Terroristes gagnés au fondamentalisme ou fondamentalistes gagnés au terrorisme, il est bien difficile de trancher définitivement la complexité des liens de causalité.

Pour certains, comme Marcel Gauchet, les programmes de « déradicalisation » devraient intégrer la question du phénomène religieux global à celle du fondamentalisme radical. Selon le philosophe, les terroristes ont une vision très personnelle de la pratique religieuse, ils sont autoconvertis, autoformés, autoradicalisés, prêts à mourir pour une cause qui leur permet d’être des individus tout en se niant comme tel. Selon lui, la question religieuse n’est pas qu’un habillage, notre vision occidentale considère que la religion est une question de conviction personnelle parmi d’autres, alors que d’autres regards en font un principe structurant l’ensemble de la société, un projet collectif promesse de sécurité individuelle. La société devrait pouvoir accepter de lever le tabou, ne pas laisser aux seuls religieux le soin de désigner la place de la religion dans la société. Un certain nombre de jeunes dans les écoles, ont justifié la violence des attentats terroristes par diverses offenses qui ont été faites à leurs croyances. La légitimation de cette susceptibilité créerait un mécanisme de surenchère. Plus les individus se jugeront offensés, plus ils se sentiront autorisés à faire taire les autres, ou à se montrer complaisants envers ceux qui en prennent la responsabilité, y compris par des actes d’une extrême violence. La ligne à ne pas franchir serait ainsi celle qui consisterait à considérer les principes démocratiques comme un délit dérogeant à, ou offensant une communauté.

La déradicalisation ne doit pas davantage concerner a priori une communauté plutôt qu’une autre, amenant ainsi les familles déjà traumatisées par le fondamentalisme de leurs enfants à en être tenues pour responsables. Le recrutement terroriste, avant d’être une question d’islamisme radical, est aussi une histoire de désarroi très profond qui touche une partie de la jeunesse, en recherche d’idéal. Les jihadistes, sur le net, ont créé un quasi monopole, une hégémonie de pensée interprétative quand au jihad, concept clé de l’Islam, qui est autre chose qu’un mode d’action terroriste. Le débat ne peut être clivé par un paternalisme opposant les bons musulmans aux mauvais musulmans, en se référent ou bien à « pas d’amalgame », ou bien « tous dehors ». Ce débat qui se déploie avec force est ou bien crispé, ou bien censuré. Les raccourcis, par défaut de prise en compte de la question, conduisent à la stigmatisation des uns et des autres. La question à se poser porte sur la manière dont le terrorisme contemporain a utilisé et détourné un code religieux, comment « Al-Qaïda et ses suiveurs ont annexé la mémoire collective de l’Islam, ont créé une légende peuplée d’anti-héros modernes déguisés en martyrs [9] » pour cliver davantage la société démocratique, entre ceux qui s’y retrouvent, et ceux qui s‘y sentent sans avenir, dans le but de créer pour eux un mythe du salut étranger à la religion.

Yves Collard

Janvier 2016

Première publication dans le n°86 "Radicalisme violent. Comprendre, prévenir au-delà de l’urgence", L’observatoire, Créateur d’échanges et de transcversalité dans le social, www.revueobservatoire.be/De-la-propagande-terroriste-a-la-deradicalisation-medias-et-discours-de-jaine?return=publication

[1« Dans son Appel à la résistance islamique mondiale, publié sur Internet en décembre 2004, il critiquait ouvertement la stratégie de Ben Laden. Principal reproche : les attentats du 11 Septembre ont eu pour effet la perte de l’Afghanistan, base arrière des jihadistes du monde entier. Aussi propose-t-il de mener des attaques décentralisées, organisées par des petites cellules dispersées en Occident, sans liens avec un commandement central. ». Source : J.-P. Perrin, La France face au « troisième jihad » Libération, http://www.liberation.fr/planete/2015/01/07/la-france-face-au-troisieme-jihad_1175843, 7 janvier 2015.

[2Un mouvement déjà largement observé parmi les commentaires et réactions des lecteurs de forums de presse en ligne.

[3Plusieurs journaux européens de la presse quotidienne ont ainsi relayé l’information selon laquelle, fin 2015, 31% des tweets des internautes belges seraient favorables à Daesh.

[4I.Vidal, A. Bonamour, A. Gavard, M. Tafforeau et E. Quillier, Daesh : Les stratégies du terrorisme 2.0, http://avril21.eu/vues-d-ailleurs/daesh-les-strategies-du-terrorisme-2-0, 20 octobre 2015.

[5I. Vidal, A. Bonamour, A. Gavard, M. Tafforeau et E. Quillier, op. cit.

[6Source : N. Guibert, L’Etat islamique, c’est 40 000 tweets en français par jour , dans Le Monde, 01 janvier 2015, http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/06/01/l-etat-islamique-compte-2-8-millions-de-francophones-sur-twitter_4645047_3218.html#dQTWPeVqQLbLRUWB.99.

[7Voir A. Roussinos, Les selfies djihadistes : les islamistes anglais partis en Syrie adorent les réseaux sociaux, 08 décembre 2013, http://www.vice.com/fr/read/les-selfies-djihadistes-les-islamistes-anglais-partis-en-syrie-adorent-les-reseaux-sociaux

[8Auteur de “Radicalisme”, collection Interventions, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 2014.

[9Interview de Abdel Asiem El Difraoui, auteur de « Al-Qaida par l’image : La prophétie du martyre », PUF, Paris 2013, parue dans http://www.letemps.ch/monde/2015/03/04/propagande-djihadiste-sommes-tombes-piege

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