Votre court métrage, avec ou sans masque ?

Mis sur pause en 2021, le concours de courts métrages À Films Ouverts reprend ses droits. Son ambition est d’encourager la réflexion et la prise de position sur l’interculturalité et le racisme grâce à la création cinématographique. Aux quatre coins de la Fédération Wallonie Bruxelles, associations et écoles ont mobilisé leurs publics pour proposer un film. Dans le contexte qui fut celui des années 2020 et 2021, comment ces structures sont-elles parvenues à fédérer les énergies et relever le défi ?

Réaliser un film est un processus exigeant : il s’agit de rassembler un groupe, de multiplier les rencontres pour imaginer une histoire mettant en scène des questions complexes, d’organiser des moments de tournage et de montage. Cette dynamique a naturellement été entravée par les protocoles sanitaires et l’impératif d’isolement, bien éloignés de l’objet social des associations concernées. Quentin Poucet, de la maison des jeunes Le 404 à Couvin [1], et Pascale Missenheim de l’ASBL d’éducation permanente Eyad [2] à Saint-Josse, ont déployé un impressionnant panel d’astuces pour permettre à des films de voir le jour, contre vents et marées.

Le protocole, avant tout

Pour Quentin Poucet, cette période a souvent donné l’impression d’évoluer dans un « escape game » géant. « Tu réussis une étape, tu résous une énigme, puis boum tu entres dans une nouvelle pièce et tu as de nouvelles énigmes à résoudre pour mener ton projet. » À chaque Codeco ses nouvelles règles, conditionnant l’accueil des groupes de jeunes et les partenariats envisageables. « On a travaillé avec des centres de demandeurs d’asile, dont un qui prend en charge des MENA [3]. On avait mis en place des moments de rencontre entre les différents publics, et puis tout a été postposé. Ces structures partenaires ont d’autres protocoles sanitaires que le nôtre… Ça a rendu l’organisation de moments de rencontre encore plus difficiles. Les soupers tous ensemble, on n’a pas pu les vivre. On a “perdu” des jeunes du centre Fedasil à cause de cela. » Pour Pascale Missenheim, ce sont évidemment les outils numériques qui ont permis aux projets créatifs de se poursuivre, du moins avec les participant·es qui acceptaient de se prêter au jeu. « Avec l’animatrice du projet, on a créé un groupe WhatsApp et un groupe Zoom, et on a déplacé les activités en soirée. Ça a permis de “récupérer” certains publics. On a donc préparé le film en se connectant une fois par semaine. On était partis pour faire une vidéo plus longue. Mais quand on a pu se retrouver en présentiel, c’était encore plus compliqué de réunir les personnes. » Les travailleurs·euses ont déployé beaucoup d’énergie pour encourager la participation et répondre aux attentes des participant·es, dans des circonstances ubuesques. Pour Quentin Poucet, le pire a probablement été de limiter l’accès des jeunes aux locaux de la MJ. « On a un petit espace ici… ce qui fait qu’on pouvait accueillir très peu de jeunes. En regard du nombre de mètres carrés et des protocoles on était limité à 5 ou 6 jeunes, au lieu de 15 ou 20. On a dû fonctionner avec un système d’inscription. Et c’est assez horrible pour une maison de jeunes. On a des moments d’accueil où les jeunes entrent et sortent librement. Ici ça nous arrivait de dire à des jeunes “désolé mais tu ne peux pas rentrer…”. » S’est pourtant frayée, entre les bouteilles de spray désinfectant et une forme de lassitude, l’envie de finaliser un court métrage et de participer au concours.

Faire des films, après tout

Dans un cas comme dans l’autre, ce parcours de réalisation cinématographique s’ancre dans une histoire, dans le prolongement de projets menés au préalable. Pascale Missenheim a « rassemblé un groupe Whatsapp avec les personnes qui avaient déjà fait une vidéo. Puis on leur a demandé quels sont les thèmes qui les touchent. Il y en a deux ou trois qui sont sans-papier, et on a donc centré sur cette thématique : ce que cela signifie d’avoir des papiers, d’être légal ou illégal dans un pays. On se disait que dès qu’on pouvait revenir, on ferait le tournage en présentiel. On a utilisé l’été pour faire la capsule vidéo. » Le résultat, c’est le film Dans une maison en verre, visant à « sensibiliser à la situation des personnes sans-papiers, notamment à leurs conditions de travail [4] ».

La Maison de Jeunes 404 avait, elle aussi, déjà développé une démarche créative avec le festival À films Ouverts comme toile de fond. « On avait participé au festival en 2018. On était venu avec un scénario et on proposait aux jeunes d’être acteur. Et ils ont participé, donné leurs idées. Ça avait été très valorisant pour eux. En 2019, un groupe de jeunes nous avait sollicité pour mettre en place une activité musicale, rap, slam. On a ensuite imaginé de faire un clip. Et là ce sont les jeunes qui ont tout créé : paroles, scénario, images ».
Pour booster ces projets et diminuer l’impact néfaste des mesures sanitaires, les deux structures se sont appuyées sur des collaborations spécifiques. À la MJ, les jeunes ont bénéficié des conseils d’un rappeur expérimenté pour l’écriture de leurs textes. À Eyad, Média Animation a apporté ses compétences pour enrichir la mise en forme audiovisuelle des idées collectées online.

Provoquer la rencontre, coûte que coûte

La dernière femme de Barbe Bleue [5], c’est l’autre court métrage encadré par EYAD, et proposé par les apprenantes en FLE [6] de l’Association Féminine Belgo-Turque. « On a fait un projet qui s’appelle “identité féminine”. On est parti des contes de femmes de la petite Anatolie (…). On a débattu et cela a mené à un questionnement plus féministe. On a découvert ensemble des parcours de femmes pionnières dans l’acquisition de droits. Barbe bleue a donc été complètement modifié. » Ce film, réalisé en stop-motion, est le fruit d’un long processus : la création sonore initiale a été mise en image grâce à l’animation, la photographie, le collage. Pour ces femmes, dont la formation en langue française n’a cessé d’être perturbée par les confinements interminables, le travail s’est poursuivi jusqu’à la diffusion du court métrage. « Au centre culturel de Schaerbeek, quand on a présenté la vidéo pour la première fois au public, elles ont fait la présentation elles-mêmes, avec un power point. Chacune est venue expliquer le processus créatif au micro. »

La dernière femme de Barbe Bleue (EYAD, AFBT, Urbanisa’son, Média Animation)
À la MJ Le 404, la réalisation du clip a été un prétexte à l’échange, à la rencontre. « Avec les jeunes qui ont accroché jusqu’au bout, ça a été très riche. Le clip est assez fort et touchant. La jeune fille afghane, qui a beaucoup imaginé le clip, nous mettait les larmes aux yeux en parlant de son pays. Elle est ensuite sortie du centre et a eu ses papiers, ce qui est très positif pour elle. Et le contact s’est maintenu, elle a pu lier des amitiés grâce à ce projet. Et puis nos jeunes ont pris conscience d’une certaine réalité. Ils avaient envie de dénoncer cette discrimination raciale. » Pour Quentin Poucet, réaliser un film dans le cadre du festival À Films Ouverts, « c’est une bonne perche pour faire en sorte qu’il y ait de l’interaction entre des jeunes couvinois et des jeunes demandeurs d’asile. Car ils ne connaissent pas la réalité de la migration, ou répètent ce qu’ils ont entendu. »

Cette année, une quarantaine de courts métrages sont parvenus à Média Animation. Derrière chaque film se cache un collectif qui a mobilisé son énergie, déployé sa créativité pour adresser un message d’ouverture ou de lutte.

Brieuc Guffens

Télécharger cette analyse

[3MENA est l’acronyme de « Mineurs Étrangers Non-Accompagnés ». À Couvin, le service L’étape prend en charge un maximum de 26 jeunes candidat·es au statut de réfugié.

[6Français Langue Étrangère

Ceci peut aussi vous intéresser...