Violence, médias et société

Le débat sur la violence dans les médias revient régulièrement sur le devant de la scène. On ne compte plus les articles, recherches, initiatives sur le sujet. Cette focalisation cache des questions essentielles. Celles de la violence latente ou explicite dans nos sociétés. Ou encore, notre capacité à gérer celle-ci. Des questions qui nécessitent une prise de recul pour permettre une meilleure approche du problème.

Face à un consensus apparent visant à maîtriser le phénomène, on peut rester perplexe. Comme si on essayait par tous les moyens de canaliser un flux d’images de plus en plus violentes et incontrôlables. Cette focalisation cache des questions essentielles. Celles de la violence latente ou explicite dans nos sociétés. Ou encore, notre capacité à gérer celle-ci. Difficile de faire l’économie d’une réflexion qui dépasse le reflet cathodique.

Apparemment, il est facile de repérer dans les médias des films, émissions, sites web… aux contenus violents. Quelques études comptabilisent ainsi très mathématiquement les actes violents diffusés à la télévision et le degré de violence explicite proposé. On a pu ainsi affirmer qu’un jeune adulte américain avait pu assister à plus de 14.000 meurtres à la télévision. Vrai. On peut compter et mesurer les litres d’hémoglobines, le nombre de coups de fusil jusqu’à s’épuiser ou s’indigner. Mais lorsqu’on veut savoir si ces mesures quantitatives peuvent effectivement être à l’origine de la violence du réel, cela devient plus difficile.

Eloge de la complexité

L’enjeu est donc de replacer la violence médiatique dans un contexte pluriel. Sans vouloir à tout pris démontrer le principe de la cause unique de l’effet unique. Nier en bloc tout effet de la violence médiatique sur le comportement ou les représentations du spectateur (jeune ou adulte)
reviendrait à nier toute la capacité d’imprégnation des représentations sociales par les médias.

La réflexion sur la question de la violence des programmes télévisuels, par exemple, remonte presque aux origines du média. Depuis les années 50, des recherches multiples se sont développées, particulièrement aux Etats-Unis. Toutes ont tenté de cerner la violence en comptabilisant les images et les comportements (1). S’il est assez aisé de définir la violence par l’intermédiaire des scènes plus ou moins explicites, cela devient plus complexe si on s’attache à la violence morale ou symbolique, aux formes latentes d’une violence plus insidieuse, et parfois plus…. Violente !

La perception de la violence paraît pour de nombreux chercheurs liée à un cumul de causes, à l’instar de la violence réelle. La télévision en est sans doute que l’une d’elles (2).

Des formes multiples

Le paradoxe de la violence télévisée essentiellement dans la confusion entre plusieurs formes de violences aux effets multiples. Tenter une typologie des formes de violences à la télévision permet en tour cas de préciser un peu mieux de quoi on parle. La première, la plus explicite, peut être définie comme la violence du fait : meurtre, acte violent, comportement explicité. Le deuxième modèle est celui de la violence du langage audiovisuel utilisé : violence représentée avec effets visuels ou symboliques. La manière de relater la violence d’un acte peut amplifier, banaliser ou tempérer. Enfin, plus difficile à cerner et beaucoup plus large, la violence de l’effet sur le spectateur. Suivant son âge, ses capacités à contextualiser, à prendre distance, le même acte peut avoir un effet très différent.

De même, s’il est assez évident de repérer la violence d’un récit fictionnel, film ou feuilleton : qu’en est-il du reportage, de l’émission d’information, du dessin animé, du débat télévisé… ?

Sublimation, art et sacré

Sur le plan des effets, le débat classique oppose deux thèses contradictoires. D’un côté, les tenants de la catharsis tentent de démontrer que la représentation de la violence à la télévision aurait pour effet de refouler ou exorciser la violence latente de la société. La télévision serait ainsi l’outil de refoulement par excellence, dans lequel la violence de la société serait sublimée et mise à distance. Tout comme l’expression artistique naît de la nécessité de sublimer et refouler (voir Guernica ou Le radeau de la méduse), la télévision permettrait à chacun d’expulser la dramatique réalité sociétale. L’analyse de la théorie anthropologique de René Girard (3) va dans ce sens.

Dans ce courant, la résurgence de la violence à la télévision ne devrait pas nous inquiéter car elle ne ferait que rappeler la place fondamentale de la violence dans la société et dans le lien social. Dans cette perspective, le rite, le sacré et l’art auraient pour fonction de polariser les conduites de vengeance et de circonscrire la violence dans les actes symboliques. Difficile d’assimiler pourtant les représentations de la violence à la télévision comme purement symboliques.

Imitation et modèles

Pour les autres, la télévision aurait pour effet de susciter la mimesis, l’imitation de la violence. A force de se voir proposer des représentations violentes, le spectateur adopterait un comportement ou une représentation positive de la violence.

Ici encore, si on se situe dans une relation de cause à effet, la télévision peut à la fois être entièrement responsable ou irresponsable de la violence. Imaginons un enfant pour qui l’expérience du conflit serait essentiellement une expérience télévisuelle.

Si la seule manière de régler le conflit est présentée massivement par la violence, on peut supposer que le représentation mentale du conflit qu’il aura sera liée à l’acte violent. Cela fonctionne, si l’on considère l’incapacité de cet enfant à négocier la représentation violente proposée, avec sa propre expérience de la réalité. Autrement dit, si la société, l’école, la famille n’offre aucun autre modèle de résolution de conflit, la violence télévisée renforcera sans doute une attitude violente de l’enfant. Poser le problème du seul point de vue de la télévision, c’est masquer l’importance du lien social, des modèles de vie en communautés basées sur le respect, la confiance et la non-violence.

On peut noter que les cas d’imitation simples relatés parfois abondamment par les médias (un enfant se jette par la fenêtre pour imiter superman) sont d’ordre pathologique. La télévision est venue se greffer sur un problème identitaire préexistant.

Eduquer pour désamorcer

Face à cette analyse, il reste à imaginer comment gérer cette imprégnation médiatique. Des solutions sont envisagées à l’échelle de la communauté française, à travers la mise ne place d’une signalétique permettant d’avertir le téléspectateur du degré de violence de certains programmes. On perçoit toutefois toutes les limites de ce système. Outre l’effet d’appel d’audience sur les programmes les plus violents, on peut se demander si les téléspectateurs utiliseront réellement cet outil d’information et pour quoi faire ?

S’ouvre alors tout un travail d’éducation. Parler de la violence, amener les adultes et les jeunes à comprendre, analyser les phénomènes de violence et leurs représentations dans les médias constituent une mission fondamentale de l’ensemble des milieux éducatifs : famille, écoles, organisations… Certaines études (4) ont ainsi pu montrer qu’une action éducative tend à désamorcer la perception et les effets de la violence. Dans cette perspective, le problème est moins de savoir si les médias sont la cause ou l’effet de la violence de nos sociétés que de comprendre l’interaction entre la société, les médias et la violence.

Patrick Verniers et Paul de Theux
26 novembre 2006

(1) Frau-Meigs D. et Jehel S., Les écrans de la violence, Paris, Economica, 1997.
(2) Gerbner G., Violence et terreur dans les médias, UNESCO, études et documents d’information, n°102, 1989.
(3) Girard R., La violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972.
(4) Voir à ce sujet les travaux du Pr Frydman de l’Université de Mons-Hainaut.

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