Les stéréotypes au cinéma

On peut définir le stéréotype comme étant la représentation simplifiée d’un groupe social aux yeux d’un autre groupe social. Il s’apparente à une image mentale qui aide à représenter un concept plus complexe. Il se fonde sur quelques traits présumés représentatifs du groupe qu’il représente. Les stéréotypes s’acquièrent dès l’enfance et comportent des caractéristiques héritées du milieu social et culturel dans lequel on grandit, mais aussi de ses propres expériences de vie.

Indépendamment des effets qu’il peut avoir sur le rapport avec l’autre, le stéréotype a une utilité importante dans la manière dont on appréhende le monde. En caractérisant les différents groupes sociaux qui composent la société, les stéréotypes sont des outils pratiques qui permettent aisément de se représenter le monde dans lequel on vit.

Souvent, le stéréotype est assimilé à un préjugé négatif et réducteur à l’encontre d’un groupe social ou culturel. Or, le stéréotype n’est pas forcément un préjugé négatif et il est important de lui redonner un sens plus général et moins diabolisé.

Sans les stéréotypes, il serait très difficile de se représenter simplement la société dans laquelle on vit. Le stéréotype est donc une simplification de la réalité qu’on a perçue ou qu’on nous inculquée. En soit, cette simplification est indispensable chaque fois que l’on entre en contact avec une personne ou une situation inconnue : on fait comme si on la connaissait en lui attribuant des qualités présumées, à l’aide du stéréotype.

Le stéréotype, le récit et le cinéma

La force évocatrice du stéréotype a une utilité toute particulière pour raconter une histoire, quelqu’en soit le support (le conte, la bande dessinée, le cinéma,…). En effet, il permet au réalisateur de faire l’économie d’une longue description. En évoquant une petite fille, un ouvrier ou un Chinois, le narrateur n’a pas besoin de beaucoup d’efforts pour que le public comprenne d’emblée quelles sont les caractéristiques générales de ce personnage. Le stéréotype qui lui est attaché complète son portrait sans qu’il soit nécessaire de multiplier les explications. Du côté du spectateur, le stéréotype aide à comprendre « qui est qui », parmi les personnages qui apparaissent à l’écran. Dans les récits, le stéréotype permet donc de réaliser une double économie : une économie du discours, pour le réalisateur et une économie de la compréhension de ce discours, pour le spectateur.

Au cinéma, cet usage du stéréotype est tout particulièrement pratique. Disposant de peu de temps pour camper un personnage, le narrateur aura recours au stéréotype pour rapidement installer les éléments nécessaires à son intrigue. Le cinéma regorge donc de stéréotypes en tout genre qu’il a souvent contribué à créer : le détective privé, le policier, le jeune de banlieue, le tueur en série, etc.

Les risques du stéréotype

Le stéréotype devient problématique lorsqu’il n’est pas pris pour ce qu’il est. C’est-à-dire lorsqu’on prend pour une vérité générale une représentation caricaturale dont la fonction fondamentale n’est pas d’établir le portrait fidèle d’un groupe social mais bien son raccourci le plus usuel. En simplifiant, le stéréotype élude la complexité de chaque groupe social. Mais aussi les innombrables différences qui peuvent exister entre un individu et les caractéristiques supposées de son groupe d’appartenance. Bref, le stéréotype devient un préjugé lorsqu’il est pris pour une réalité avérée et non plus pour une simplification. Le stéréotype peut alors devenir un véritable frein au travail de découverte et de réflexion, non seulement au cinéma, mais aussi dans la réalité.

Par ailleurs, l’élaboration d’un stéréotype ne se fait pas non plus de manière « objective ». Lorsqu’un groupe social crée le stéréotype d’un autre groupe social, il intègre dans ce processus les idéologies qui le traversent et la manière dont il conçoit le monde. Un stéréotype peut donc être chargé négativement à l’encontre d’un groupe social. Les propagandes racistes vont ainsi tenter d’attacher des éléments négatifs aux stéréotypes qu’ils cherchent à forger pour ensuite les exploiter. A partir de ce moment, la propagande raciste sera reçue d’autant mieux dans le public que le stéréotype est inculqué et ce cercle vicieux aura tendance à se répéter, en amplifiant son effet à chaque tour. On le trouve en négatif dans la spirale de la haine ethnique et parfois en positif, comme par exemple dans l’enthousiasme que suscite une équipe sportive où on prête aux athlètes des qualités supérieures héritées de leur nationalité.

L’influence du cinéma sur les stéréotypes

Les médias audiovisuels comme le cinéma ou la télévision ont une forte puissance de suggestion car ils tendent à entretenir l’illusion qu’ils représentent le « réel ». Les représentations qu’ils véhiculent sont convaincantes et contribuent de ce fait à nourrir les stéréotypes. A ce titre, le cinéma est une arme très efficace pour les propagandistes. En façonnant des stéréotypes hostiles, il peut contribuer à entretenir ou développer le rejet d’un groupe social par un autre.

Le cinéma, un média subjectif et révélateur

Bien qu’il est fréquent d’entendre au sujet d’un film ou d’un reportage qu’il est « réaliste », il est important de garder à l’esprit qu’une œuvre filmée est immanquablement subjective. Ce qui est donné à voir et ce qui est raconté sont toujours dépendants des choix qu’opèrent le réalisateur. A ce titre, tout film manifeste le point de vue de quelqu’un sur un sujet. Il existe toutefois des films qui tentent de mettre en perspective deux ou trois points de vues simultanés, pour faire réfléchir le spectateur. Leur visionnement demande alors un véritable effort. Ce sont rarement des films très populaires…

La subjectivité d’une œuvre cinématographique ne s’arrête pas à celle de ses auteurs. A travers leur regard, c’est aussi celui de la société dont ils sont issus qui s’exprime. Même en cherchant à s’affranchir de l’influence de son milieu socioculturel, un auteur ne peut faire abstraction que des éléments dont il a conscience. Implicitement, il véhiculera tout de même un certain point de vue qu’il hérite de son milieu, de sa culture et de son époque. A ce titre, un film permet de prendre connaissance tant de la vision d’un réalisateur sur un sujet que celle de la société qui a engendré cet auteur. Les préoccupations du moment, la manière dont elles sont abordées se manifestent explicitement ou implicitement. Les stéréotypes, matière première d’un récit, sont parmi les éléments les plus révélateurs de la vision de cette société. Et à travers sa vision, c’est la société elle-même qui se dévoile à qui la regarde par-delà la surface du récit.

Une œuvre cinématographique ne manifeste pas non plus les seuls points de vue de ses auteurs et de leur culture. La vision même du film et les sentiments qu’elle provoque font appel au point de vue du spectateur. Celui-ci aussi est influencé par son propre milieu socioculturel, par le genre de film qu’il a l’habitude de voir et par ses préoccupations personnelles. Au final, un film confronte la subjectivité de celui qui le propose à celle de celui qui le voit.

Analyse de film

"Pièces d’identités" de Mweze Dieudonné Ngangura

Synopsis

Un vieux roi congolais, Mani Kongo, part en Belgique pour retrouver sa fille Mwana dont il n’a plus de nouvelles et qu’il avait confiée à un internat religieux. Paré de ses attributs royaux et de son souvenir de l’expo 58 où il avait été convié avec faste, le vieux père découvre une Belgique peu hospitalière et une diaspora congolaise en proie à ses contradictions. Ignorant que son père la cherche, Mwana sort de prison et accepte un boulot de danseuse dans un cabaret pour aider la police à mettre la main sur un mystérieux braqueur masqué.

Présentation

Film tout public, Pièces d’identités est l’oeuvre d’un auteur congolais formé à l’IAD dans les années 70 et qui réside depuis plusieurs années à Bruxelles. Bien que financé par des organismes européens et réalisé avec une équipe technique belge, le film s’adresse bien à un public africain et véhicule une vision du Sud. Très bien accueilli dans les pays d’Afrique francophone, le film été récompensé au festival de Ouagadougou et s’inscrit dans le cinéma populaire. Selon un interview donnée par l’auteur (www.africultures.com), le succès du film auprès du public africain est notamment dû au regard réaliste porté sur les personnages occidentaux et belges, dans des régions où l’Occident reste un eldorado mythifié.

Regards croisés

Le regard du film sur l’Occident passe à travers deux groupes de personnages : les Africains de la diaspora et les Belges. Les premiers sont tous en prise avec l’Occident et vivent leur insertion avec difficulté. L’occidentalisation et leur situation précaire provoquent chez eux une crise d’identité face aux racines et induisent des comportements souvent problématiques par lesquels le film offre une vision critique de l’Occident. Quant aux personnages belges, ils sont « Bruxellois » dans l’acceptation caricaturale du terme. Policiers ou piliers de comptoir, antipathiques ou non, ils véhiculent un stéréotype du Belge, pas très éloigné du folklore et délibérément choisi pour son opposition avec l’image traditionnelle du blanc riche et éduqué.

Grossi dans le sens inverse, le film est notamment remarquable pour l’usage qu’il fait de l’accent. On pourra relever que si le Belge parle avec un accent souvent surjoué, l’Africain – en revanche – s’exprime dans un français châtié, aux antipodes de la caricature habituelle de l’accent noir. Ceci rejoint un procédé commun à tous les cinémas qui caractérisent volontiers « l’autre » à travers sa façon de parler, exotique et grossie pour faire rire.

Côté spectateur

Pièces d’identités est un film qui convient parfaitement tant pour le public jeune qu’adulte. Ses naïvetés narratives participent à l’impression de fraîcheur qui s’en dégage et ce, malgré la gravité des situations vécues par les personnages. Sans être enlevé, le montage est cependant dynamique et pourra lever les impressions de gaucherie parfois associées à un cinéma africain méconnu des spectateurs occidentaux. Le fait que l’action se déroule à Bruxelles dans des lieux reconnaissables contribue à un décalage original entre le lieu de l’action et son point de vue inhabituel.

Le réalisateur : Mweze Dieudonné Ngangura

Né en 1950 à Bukavu, il a étudié la réalisation à l’Institut des Arts de Diffusion de Bruxelles (IAD). Diplôme, il revient au Zaïre pour y enseigner à son tour la réalisation. Parallèlement, il réalise un premier documentaire, Chéri-Saba qui lui ouvre les portes de la réalisation. En 1987, il coréalise avec Benoit Lamy La Vie est Belle où Papa Wemba tient le premier rôle. Ce film désenclave le rare cinéma congolais et est bien accueilli en Afrique francophone. Depuis, Nagangura travaille comme réalisateur et producteur indépendant. Il a signé plusieurs documentaires et la fiction Pièces d’Identités, également renommée. Représentatif du cinéma congolais de la diaspora, il cherche à développer un cinéma populaire africain par lequel passerait le développement du septième art sur le continent.

Congo/1998/92’
Réalisateur : Mweze Dieudonné Ngangura
Genre : comédie sociale

Daniel Bonvoisin
21 mars 2007

Un dossier réalisé dans le cadre du "Festival du film contre le racisme" et "la Semaine d’actions contre le racisme 2007".

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