Plus de mobilité, c’est « smart »

91 % des jeunes belges possèdent un GSM selon une étude du CRIOC menée en 2011 auprès d’élèves francophones et néerlandophones âgés de 10 à 17 ans. On y observe également que 21% des jeunes interrogés possèdent un Smartphone. Quelles influences cela peut-il apporter dans leur quotidien ? Et à quelle société ces jeunes contribuent-ils via cette nouvelle technologie ? Leur nouveau mobile les rendra-t-il plus « smart » ?

Les Smartphones, ou « téléphones intelligents » [1] nous permettent de mener une multitude d’activités sur un « téléphone portable ». Travailler, s’informer, jouer, se simplifier la vie, il existe des « applis » pour tout et pour tous. Elles nous donnent une impression de sur-mesure qui colle parfaitement avec l’individualisme de masse qui règne dans notre société. En quelques mois à peine, les Smartphones ont séduit 1,6 millions de Belges.

Apps, Androïd, IOS, etc…

Toute nouvelle technologie apporte son jargon et des usages qui lui sont propres. On ne peut comprendre ce qu’est un Smartphone sans expliquer ses « apps », sans savoir si on est sur Androïd, IOS ou Symbian, RIM ou Microsoft, sans le confondre avec une tablette, etc. Pour faire rapide (qualité essentielle pour un Smartphone), un Smartphone est un téléphone mobile qui peut également fournir des fonctionnalités d’agenda, de calendrier, de navigation sur le web, de consultation de courrier électronique, de messagerie instantanée, de GPS, de prise d’images et de vidéos, etc. Toute sa force semble résider dans une mobilité sans équivalent. Il est utilisé autant à son domicile qu’en rue ou dans des lieux publics. Le système d’exploitation est l’élément moteur du Smartphone : il en assure le fonctionnement central et la compatibilité entre le matériel et les programmes qu’on y installe. Certains systèmes d’exploitation sont spécifiques à la marque, comme IOS pour Apple (IPhone et IPad), tandis que d’autres, comme Androïd sont utilisés par plusieurs fabricants. Ce dernier est propriété de Google et le plus utilisé pour les Smartphones, devant le Symbian (Nokia), IOS, RIM (Blackberry), Microsoft, etc.

Au-delà de l’attrait de cette mobilité, ce nouveau téléphone doit aussi son succès à la personnalisation sans limites rendue possible grâce aux « apps », entendez par cette expression les applications. Ces programmes se comptent par centaines de milliers et permettent de façonner son Smartphone selon ses goûts, son humeur, sa personnalité, ses centres d’intérêts, etc. Du bout du doigt, on peut accéder à des « apps », gratuites ou payantes, qui permettront de se divertir, de faciliter la vie quotidienne, d’écouter ou de produire de la musique, de naviguer, de faciliter l’interactivité, de lire des livres, de travailler des photos ou vidéo, de se tenir au courant des influences « lifestyles »… De la plus anodine (imiter le bêlement d’un mouton ou traire une vache) à la plus pratique (gestion de l’agenda), il semble y avoir une application pour chacune de nos envies ou de nos obligations.

Digital natives vs digital migrant

Les technologies sont aujourd’hui immergées dans le quotidien (ou est-ce l’inverse ?), et ça les jeunes et les marchés l’ont bien compris et vite adopté. Mark Prensky [2], chercheur et auteur américain, a baptisé en 2001 notre jeune génération de « digital natives ». Ces « natifs numériques » ont grandi dans l’environnement de l’Internet, des ordinateurs, des GSM et autres technologies comme les MP3. Ils en connaissent la grammaire et les usages de manière innée la plupart du temps, surtout dans nos sociétés de l’information. Il les oppose aux « Digital Immigrants », les migrants numériques qui ont eux assisté à la naissance du Web et même pour certains de l’ordinateur et qui ont dû apprendre ce nouveau langage. Cette grammaire, ils l’ont acquise. Comment savoir si l’on est un migrant digital ou un native ? Le migrant imprime ses emails, ou pire encore, téléphone à son interlocuteur pour être certain qu’il l’a reçu. Entre ces deux générations, il existerait une discontinuité énorme selon Prensky.

Que l’on soit digital native ou plutôt migrant, l’industrie des télécommunications a bien compris comment nous séduire. Ils nous donnent en effet l’impression d’avoir un outil unique, qui est « tellement fait pour moi », mais pourtant, nous réagissons plutôt de la même manière face à cet objet qu’est le Smartphone. En effet, en tant que consommateur, notre choix se portera souvent soit vers les « Black bé », les « IPhones », et les autres. En France, on constate qu’après quelques années de démocratisation du mobile, les Smartphones donnent lieu à un « investissement identitaire renouvelé » [3] . En posséder un, c’est non seulement « être dans le coup », mais choisir son camp, un peu à la manière des pro-Mac contre les pro-PC il y a une dizaine d’années.

Mark Prensky observe également que l’industrie a su identifier très vite quel était le profil de ces digital natives et leur proposer des services, des outils, qui correspondent presque parfaitement à leurs nouveaux besoins. Il se demande pourquoi l’industrie a réussi à s’accorder la confiance et l’intérêt de ces « nouveaux élèves » alors que l’école, pourtant censée être une experte en la matière (les élèves), ne semble rien proposer de concret pour les accueillir dans un futur proche.

Un autre temps

Avec les « digital native », on a vu apparaître un nouveau rapport à la temporalité et il semble qu’ils se différencient de leurs aînés presque essentiellement en cela. Le digital native est en permanence en relation avec ses « amis » aux quatre coins du monde. Il est même parfois dans une simple relation phatique : le fait de communiquer est plus important que ce qu’il communique [4]. Il passe sans cesse d’une occupation à une autre, et semble parvenir aisément à faire plusieurs choses en même temps et à digérer une quantité phénoménale d’informations. Et cela s’accélère sans cesse, il veut tout contrôler et tout de suite. Ce nouveau rapport au temps pose question bien entendu, car il semble en contradiction avec un temps « adulte » souvent plus long et plus structuré. Il semble que tant les aînés que les jeunes devront adopter des ajustements pour coexister des ces temporalités différentes.

Entre l’autonomie et le contrôle

Même si l’on entend souvent des critiques à l’égard des jeunes qui passent du temps devant les écrans, il semble que l’écran d’un Smartphone ne supporte pas toujours la même désapprobation parentale que la télévision ait pu avoir en son temps. En effet, que se soit le Smartphone ou l’ordinateur, on confère souvent un rôle « actif » aux enfants et ces outils ne semblent pas uniquement « les enfermer ». En matière de téléphones portables, les parents semblent accepter la grande autonomie qu’ils donnent par ce biais à leur progéniture. Cela se fonde sur une grande confiance dans la capacité des adolescents et préadolescents à agir de manière responsable quand ils ont ces outils en mains. Il faut néanmoins souligner que ce qui est concédé en autonomie est souvent partiellement récupéré sous forme de capacité de contrôle sur les enfants, beaucoup plus présent au sein du foyer depuis qu’existent ces nouvelles technologies [5]. En effet, qui oserait imaginer aujourd’hui qu’on ne puisse plus contacter son enfant où qu’il soit ? Combien de parents souhaitent que leur ado « leur envoie un SMS » pour dire que tout va bien ? Ou combien sont-ils à être « amis » avec leur enfant sur Facebook et à pouvoir vérifier via certaines applications de géolocalisation si leur ado est bien à l’endroit prévu ?

Vers les « Mobile natives » ?

Nous l’avons vu, grâce à la mobilité des Smartphones et tablettes, nos futurs enfants auront encore davantage de possibilités de s’engager vers les nouvelles technologies, de nouveaux apprentissages, voire de s’évader du foyer tout en y étant physiquement. Seront-ils pour autant des « Mobile natives » ? Il est vrai qu’après l’e-learning, nous voyons apparaître des projets de Mobile Learning [6]. Allons-nous pour autant passer dans une ère où le temps et l’espace auront radicalement un autre statut ? N’y aura-t-il plus de distinction entre la vie « online » et la vie « offline » ? Nous en sommes encore bien loin. Car si nous avons parfois l’impression de ne plus trop faire la distinction entre ce qui passe devant ou derrière l’écran, nous savons que ces deux univers s’enrichissent mutuellement et que cette sociabilité numérique peut aussi avoir des bienfaits sur les relations interpersonnelles. Seul l’avenir nous dira si les nouvelles technologies rendront notre société plus ou moins « smart ».

Catherine Geeroms

Média Animation

Cet article a également été publié, fin décembre 2011, dans le cadre de la recherche-action "Les enfants du Net et leurs parents", co-organisée par l’UFAPEC et Média Animation. L’étude complète est disponible sur http://www.ufapec.be/files/files/analyses/2011/3611-etude-net.pdf

[1Ndlr : « smart » signifie intelligent, malin en anglais.

[2Mark Prensky, « Digital Natives, Digital Immigrants”, MCB University Press, Vol. 9 No. 5, October 2001.

[3Cécile Ducourtieux, « Le Smartphone, un investissement identitaire renouvelé », Le Monde, le 01 septembre 2010.

[4Dossier « La génération mobile, la révolution des 12-28 ans », Le Vif l’express n°3150 du 18 au 24 novembre 2011.

[5Xavier Molénat, « Les enfants du numérique », in Sciences Humaines n°226, pp. 44-47, mai 2011.

[6Média Animation, dans le cadre de ses projets européens, travaille sur cette notion de Mobile Learning. http://www.mymobile-project.eu/

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