Quand les réactions du public s’imposent dans les rédactions…

Les Internautes télé-commandent-ils les choix des faits d’actualité ?

Ces dernières années, le public a vu ses usages modifiés par l’arrivée de nouveaux médias : tablette, smartphone et ordinateur portable. Cela a pour conséquence une consommation souvent cumulative de plusieurs écrans. Ainsi durant un programme télévisé, la chaîne peut inviter ses téléspectateurs à réagir simultanément à ses programmes : en votant, en donnant son opinion…

Le 15 octobre 2013, le match de football opposant la Belgique au Pays de Galles boute le feu à la twittosphère à travers deux événements qui vont démontrer que ce qui fait du remous sur les réseaux sociaux aujourd’hui, suffit à devenir l’information de demain. Une réalité qui rappelle que le public a une importance primordiale dans le choix des informations d’une rédaction.

Récemment les usages des spectateurs se sont vus modifiés : la consommation d’écran(s) croit et les supports (tels que télévision, smartphones, tablettes et ordinateurs portables) sont souvent consommés dans le même temps. Le phénomène du second écran s’impose. En effet, l’utilisateur ne se contente plus de regarder la télévision et uniquement la télévision : il cumule les écrans et agrémente sa consommation télévisuelle avec son smartphone, sa tablette et son portable. A l’heure actuelle, on considère «  qu’un belge sur deux regarde la télévision en surfant sur sa tablette ou son smartphone  » [1].

Le spectateur cumule les écrans pour différentes raisons : il partage (sur les réseaux sociaux), il se divertit (à travers des jeux), il s’informe/éduque (en cherchant des informations sur les programmes qu’il regarde). L’ensemble de ces pratiques recouvrent ce que l’on appelle la social tv. Ces usages laissent des possibilités de dialogues entre la chaîne et les spectateurs. La chaîne va effectivement profiter de ces usages pour (ré)attirer l’attention du spectateur vers ses programmes. On assiste alors à des appels du pied des chaînes de télévision adressés aux spectateurs pour qu’ils réagissent au programme : voter, donner son opinion… Des émissions comme Belgium Got Talent [2] ou encore les grands évènements sportifs usent de ce principe. Il y a donc une complémentarité entre les médias interactifs (par exemple Facebook et Twitter) et les médias plus linéaires (télévision).

Quand le public commente et commande l’actualité

De plus en plus, les utilisateurs des réseaux sociaux peuvent exposer leur point de vue sur les programmes à travers des débats, des échanges d’opinion… ou encore afficher leurs sensibilités par rapport à différents évènements sur les pages Facebook ou les comptes Twitter mis en place par les télévisions. Les chaînes essayent ainsi d’être plus attentives à la sensibilité du public qu’elles sondent. Cette stratégie se révèle essentielle car mieux connaitre son public, c’est mieux l’appréhender. De ce fait, si un moment de l’émission est plus relayé qu’un autre par les Internautes, la chaîne sera plus encline à l’aborder dans son actualité (comme un succès, un échec ou le caractère insolite d’un fait). Ainsi les médias vont mettre à l’agenda ce qui est ressorti massivement dans les réseaux sociaux lors de la prestation télévisuelle.

A titre d’exemple, le match de football du 15 octobre 2013 opposant la Belgique au Pays de Galles a suscité énormément de réactions sur la twittosphère. En effet, lors de cette rencontre, deux évènements vont faire parler d’eux. D’une part, la chaîne privée qui diffusait le match a remplacé le mini concert de la mi-temps du chanteur Stromae par des plages de publicité. De ce fait les télé-spectateurs se sont vus privés d’une partie du show du chanteur. D’autre part, les commentateurs sportifs ont émis un commentaire sur le chanteur belge jugé déplacé par l’ensemble des téléspectateurs. Ces derniers se sont déchainés sur Facebook et Twitter et ont fait savoir leur mécontentement à l’égard de la chaîne. Les commentaires du public se sont ainsi répandus pendant le match sur les réseaux sociaux et ont « déchaîné »les passions… Pendant ce temps, sur l’écran de télévision : rien d’anormal, le spectacle continuait.

Dés le lendemain, la presse papier a relaté les deux polémiques sous forme d’information [3]. Force est de constater qu’ici l’information est relayée par la presse avec autant de poigne qu’elle sait que les spectateurs du match ont réagi très vivement la veille sur les réseaux sociaux. En quelque sorte, ce qui a élevé l’évènement au rang d’information c’est précisément l’intérêt que le public lui a consacré à travers les réseaux sociaux durant la soirée. Une manière de rappeler que le public est une donnée cruciale pour trancher ce qui est de l’information et ce qui n’en n’est pas.

Ainsi le lendemain du match, on pouvait lire dans la presse : […] Mais la qualité de la sono de l’enceinte bruxelloise s’est relevé ne pas être à la hauteur du talent du chanteur dont la prestation n’a pas, non plus, pu être appréciée à sa juste valeur par les téléspectateurs de RTL-TVI et de la VRT suite à de multiples coupures publicitaires qui ont vivement provoqué la polémique sur les réseaux sociaux. La twittosphère n’a pas manqué de s’indigner sur le coup de pub « fort minable » de RTL. Le présentateur de la chaîne, Stéphane Pauwels, n’a pas non plus réussi à calmer le jeu en saluant la prestation de Stromae et en ajoutant que le chanteur « est un garçon de couleur bien intégré » [4]. L’article se clôture sur un florilège des réactions d’internautes postées lors de la soirée, en quelque sorte une légitimation du choix du sujet d’actualité.

Un média travaille pour son public… oui mais jusqu’où ?

A travers l’exemple du 15 octobre 2013, on a pu constater que l’actualité était occupée par ce qui fait directement l’intérêt du public ou plutôt sur quoi le public décide de jeter son dévolu… Donc il ne s’agirait plus du contrat traditionnel d’un média de masse qui choisi l’information pour la diffusion vers son public. Ici le contrat s’inverserait : les médias diraient presque aux spectateurs : « dites nous ce qui vous intéresse et on en parle ! ». Une maxime d’autant plus simple à appliquer que la technologie permet une grande interactivité, et ce, pour le meilleur et pour le pire.
Ainsi on retrouvera dans l’actualité du mois de novembre, un grand nombre d’articles qui traitent de l’habillement de la présentatrice Julie Taton [5] à l’émission Belgium Got Talent sur la chaîne RTL-TVI. Les articles traitent des commentaires des spectateurs sur Facebook et Twitter lors de la diffusion du show. Un buzz autour de la tenue de la présentatrice que la chaîne a pris soin de perpétuer tout au long de la saison de l’émission [6] à l’heure où faire le buzz devient le sport médiatique le plus tendance.
Mais se pose alors la question de la limite : jusqu’où aller ? Les médias doivent-ils relayer un fait en l’érigeant au titre d’actualité parce qu’il fait du bruit sur Internet ? Bien entendu cette question est intranchable : le journaliste sélectionne, trie et hiérarchise encore et toujours l’information à destination de son public. Tout est alors question de relation entre le média (sa ligne éditoriale) et son public. Si le public a l’opportunité de faire part de ses attentes, alors le média essayera d’adapter sa ligne éditoriale en relayant davantage les informations qui lui correspondent.

La place de l’éducation aux médias

Quelles sont les enjeux pour l’éducation aux médias ? Tout d’abord dans la lecture que l’on peut faire des commentaires des Internautes autour d’un évènement télévisé : qu’est ce que le public attend de ce moment ? Sur quoi réagit il, sur quoi ne réagit-il pas ? Quel(s) élément(s) de la société est-il possible de déceler en lisant les commentaires sur les réseaux sociaux autour d’un événement télévisé ? Bien entendu le pari est ambitieux, mais garder à l’esprit que la télévision comme moment de rassemblement, aujourd’hui, se partage parallèlement sur les réseaux sociaux est une donnée intéressante. Intéressante car elle permet de prendre le pouls de la société autour d’un moment de consommation collectif.
Aussi, à travers l’écriture sur Internet autour d’un évènement télévisuel, il faut bien prendre conscience que la personne qui poste un message ou exprime un like est un signe d’intérêt pour l’évènement télévisé. De ce fait, l’internaute participe de facto à la propagation du message et à son attrait médiatique. En s’intéressant à un sujet et en y prêtant une marque d’attention, il participe à sa notoriété médiatique. Ainsi à titre d’exemple, il n’est pas rare qu’un journal télévisé se clôture sur un classement des vidéos les plus consultées sur le web. Cet exemple montre le lien étroit entre l’activité des internautes sur le web et la hiérarchisation qui est faite de l’information par les médias.
Comprendre la part individuelle que l’on porte sur les événements télévisuels et comprendre pourquoi la presse peut relayer ces impressions comme fait d’actualité est en soi une démarche d’éducation aux médias. Une démarche primordiale pour comprendre l’importance du public dans le processus médiatique ainsi que les mécanismes de l’information de demain… ou plutôt d’aujourd’hui.

Martin Culot

Avril 2014

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