Le mod est à vous : quand le jeu vidéo se co-construit avec les joueurs

Outil ultime d’appropriation des jeux vidéo par leurs joueurs, voici les mods. Ce terme désigne les améliorations faites par les joueurs sur un jeu original voir même, la conception de nouveaux jeux. Concrètement, les joueurs s’inspirent d’un jeu original pour le peaufiner dans le but d’en améliorer l’expérience ludique ou sociale de la communauté de joueurs.

Car la pratique du modding va plus loin que des améliorations du jeu que le joueur garde pour lui. En effet, elle s’inscrit avant tout comme une activité partagée par une communauté, un esprit de collaboration qui répond directement à la question de la place du public dans les médias numériques.

Le mot « Mod » (on dit un mod) est l’abréviation de « modification ». Ils prennent généralement la forme de greffons pour jeux vidéo. Comparables à des modules complémentaires, ils sont créés par un joueur ou un groupe de joueurs dans le but d’innover ou de customiser l’œuvre originale. La pratique du modding poussée à son extrême peut aller jusqu’à la création d’un jeu devenu autonome par rapport à l’œuvre originale.

En s’inspirant du code source du jeu [1], le joueur/hacker [2] propose un complément au jeu de base. Au sein des jeux vidéo, les mods peuvent servir tant au fond : nouveaux espaces de navigation, extension du scénario, nouveaux personnages… ; qu’à la forme : ergonomie des menus, disposition de l’écran, meilleure maniabilité… Ces mods (aussi appelés « additiels ») servent à combler les lacunes détectées par les joueurs pour que le jeu corresponde mieux aux usages et besoins de la communauté des gamers. Ainsi, cette pratique laisse place à un espace de socialisation bien particulier entre foire aux idées, développement informatique, entraide et jeu.

L’imaginaire de la communauté Internet

Les mods sont les produits d’un contexte social que Patrice Flichy, a appelé l’imaginaire d’Internet [3]. Dans son ouvrage, l’auteur montre comment Internet a émergé dans un contexte d’usages idéologiquement marqués. La consommation d’Internet à ses débuts était inscrite dans un esprit communautaire et de partage : celle du hacking. Comprendre la logique du hacking permet de situer la pratique du modding dans son contexte social et idéologique : « toute la mentalité des hackers se base sur la coopération, l’échange, la gratuité, l’enseignement participatif, le partage, la considération pour les autres, l’ouverture, la liberté d’expression, la créativité, la passion, le respect de la vie privée, la résolution de problèmes en groupe, le développement de meilleurs outils utiles à tous, la liberté d’utilisation et de critique, la possibilité de participer au développement, un pouvoir décentralisé et l’absence de hiérarchie autre que celle basée sur les résultats produits par chacun » [4]. Internet apparaît automatiquement comme le média (espace social) où cette idéologie peut se développer. Alors qu’aujourd’hui, Internet est, entre autres, un espace commercial ; il n’en reste pas moins le média propice à cette pratique du modding. Les modders (individus produisant des mods) répondent à cette même logique. En effet, ils s’inspirent d’un jeu pour l’améliorer et ainsi entrer dans un cycle d’optimisation du produit à partir de leurs expériences de jeu mais aussi de leurs expériences sociales (partage sur les améliorations à apporter etc).

En quête de reconnaissance ou d’expériences ludiques toujours plus intenses, les modders vont partager leurs créations. L’échange de ces additiels est une preuve de l’esprit communautaire qui domine sur cette pratique. En effet, lorsqu’il s’agit de jouer en compétition, chaque détail peu compter et si le joueur décidait de garder ses additiels pour lui, il serait avantagé sur ses compétiteurs. Mais la norme est au partage, ce qui favorise l’égalité entre les joueurs.

Si le jeu est une chose, conserver cet esprit de partage en est une autre. Ainsi, des chercheurs [5] se sont penchés sur la pratique du modding et ont observé un véritable espace social autour de cette activité : « Grâce à ces additiels, l’information partagée entre les joueurs est différente de celle inscrite dans le jeu de base et nous observons une modification dans la forme de communication puis de la socialisation ».

Le jeu est d’ordre ludique mais dans ce contexte, il devient une base pour une activité de développement informatique et de partage social sur Internet. Les forums, les réseaux sociaux, les blogs [6] sont autant d’espaces d’échange qui grouillent d’informations en tout genre pour permettre à une communauté de créer et partager (on ne peut pas mettre de droit d’auteur sur un mod car celui-ci est déjà basé sur un jeu existant) ces extensions de jeux. Qui plus est, pour proposer ses premières modifications de jeu, il n’est pas nécessaire d’être un génie en informatique. Internet regorge de guides, de tutoriels, de blogs qui expliquent de manière userfriendly comment générer ces modifications et comment les partager.

Exemple historique de la pratique

L’histoire du jeu vidéo est très marquée par cette participation des usagers dans son évolution : « En fait, depuis la naissance des jeux vidéo, les joueurs sont des participants actifs, voire des artisans du développement de l’industrie. A partir de Steve Russel qui programme Spacewar (1962), l’industrie vidéo ludique se définit comme un modèle circulaire entre les concepteurs et les joueurs. Le développement des jeux en réseaux profite de l’apport des joueurs, tout particulièrement des joueurs experts qui possèdent les connaissances et les capacités pour participer au développement des jeux vidéo » [7]. Le jeu vidéo a toujours évolué avec l’aide, la participation et la passion de ses usagers.

Un cas d’école : id Software (connu pour ses jeux Wolfenstein et Doom [8]) sort en 1992 le jeu Wolfenstein 3D, rapidement les développeurs ont constaté que les joueurs étaient des hackers. Le studio a rapidement constaté que le hacking avait comme finalité d’améliorer le jeu de base : de nouvelles cartes, de nouvelles armes, nouveaux graphismes… Le jeu se voit enrichi de l’apport des hackers.

Après ce constat effectué sur le jeu Wolfenstein 3D, les studios décident de séparer le moteur du jeu des fichiers contenant les cartes des niveaux, les graphismes et les sons. Et ce pour laisser plus facilement place au hacking. John Carmack (créateur de Wolfenstein et de Doom) s’exprime à ce sujet : « Le hacking de Wolfenstein n’était pas prévu, mais à partir de ce moment, Doom [note de l’auteur : le jeu qui a suivi Wolfenstein en 1993] a été conçu dès le départ pour être modifié par la communauté […] Je me souviens toujours de la première fois que j’ai vu le mod Star Wars pour Doom. […]. J’étais tellement fier de ce qui avait été rendu possible et j’étais absolument sûr que faire des jeux pouvant servir de cadre pour le travail d’autres gens était la bonne direction à prendre » [9]. Le développement d’un jeu peut donc inclure dès le début une place pour la créativité des joueurs. Une créativité souvent marquée par des besoins divers : expériences ludiques toujours plus intenses, socialisation plus grande, affirmation d’une opinion politique ou culturelle.

Co-construction du jeu : quelle motivation pour le joueur ?

Cette pratique du mod est une manière de se saisir d’un véritable espace d’appropriation. En effet, cet espace se situe entre ce que le jeu a à proposer (son univers, son contenu…) et ce que le joueur veut en faire. De ce dernier point de vue, ce sont les usages et besoins des joueurs qui vont primer. Les initiatives des hackers à créer des mods peuvent se comprendre sous différents prismes : ludique, social, politique ou culturel.
 Améliorer l’espace ludique. Concernant l’espace ludique, il s’agit des modifications que l’on veut apporter au jeu pour qu’il soit plus jouable, plus long, plus réaliste… Il peut arriver que les auteurs du jeu original reconnaissent eux-mêmes la qualité du travail des modders et le légitiment en le recommandant eux-mêmes aux autres joueurs. En exemple, on peut citer le jeu Skyrim (The Elder Scrolls), où certains mods vont jusqu’à être commercialisés avec le jeu de base. D’autres mods (cartes supplémentaires) ont été sélectionnés par les auteurs pour figurer dans le support en ligne officiel du jeu [10]. Par contre, d’autres mods seront simplement tolérés voir même proscrits (les mods qui viendraient dénaturer l’univers du jeu, par exemple).
A l’extrême, cette pratique peut donner lieu à la création de jeu à part entière. Le jeu Half-Life connaît un mod devenu automne : Counter Strike, un jeu devenu mondialement connu des joueurs de FPS [11] en ligne.
 Socialiser
Les mods, quand ils sont produits dans un but social, visent à améliorer l’expérience d’interaction humaine vécue à travers le jeu (se réunir, se parler…). Par exemple, certains mods s’attachent à améliorer le système de chat et de communication entre les joueurs. Ce type de mod peut se montrer efficace, spécialement dans certains moments de jeux qui se basent sur la rencontre entre avatars (joueurs). C’est sur cette base que dans le jeu World of Warcraft (WOW) s’organise d’énormes fêtes virtuelles (fête des brasseurs, fête de la moisson…) qui sont organisées via les avatars des joueurs. Durant cet instant, les joueurs se socialisent entre eux et peuvent utiliser ces mods pour faciliter leurs rencontres et leur communication : échange de coordonnées, informations sur leur avatar, situer celui-ci géographiquement dans le jeu, collaborer etc.
 Proposer un modèle idéologique/politique
A travers les mods, les joueurs peuvent inclure/renforcer la dimension politique ou idéologique d’un jeu. Ainsi, le jeu Minecraft [12] possède des mods qui vont témoigner de cette dimension. Un premier exemple de mod propose d’inclure au jeu un système politique de décisions [13]] : élection, gouvernement, groupe de pression, système de vote etc. Tous ces éléments prennent alors place dans le jeu par l’initiative du hacker. Le joueur peut choisir entre instaurer un système démocratique ou dictatorial avec ses conséquences...
Un autre exemple de mods, toujours présent dans le jeu Minecraft, propose cette fois aux joueurs de devoir gérer leurs ressources naturelles [14]]. Ce mod est proche d’autres jeux sur le thème qui existent déjà, mais il est ici proposé par les hackers  : le joueur est contraint à devoir gérer ses ressources énergétiques et à devoir faire des choix d’ordre moraux. De ce point de vue, les mods sont également un message politique/idéologique que les hackers veulent apporter au monde.
 Affirmer une culture/appartenance
Les appropriations des espaces ludiques sont sans conteste liées aux usages et profils des joueurs. Dans cette logique, il ne sera pas étonnant de retrouver des éléments d’ordre culturel qui sont liés à la communauté de hackers. Les joueurs du jeu de construction Minecraft ne manquent pas d’éditer, sur les réseaux sociaux, leurs réalisations toujours plus riches en référence [15] à une culture souvent étiquetée de « Geek ». Les références au Seigneur des anneaux, à Game of the thrones, à Star Wars, à Godzilla, à Pokémon, à Mario… sont légion. En considérant les mods comme moyens d’expression issus d’une construction collective (certaines réalisations de Minecraft ont mobilisé une centaine de personnes pendant plus de 4 mois), les mods seraient un moyen d’affirmer sa culture, d’un point de vue personnel ou collectif en ajoutant des symboles culturels à ses créations.

Martin Culot

Avril 2014

[1On trouvera plus souvent les mods sur PC. Il est beaucoup plus aisé d’accéder au code source du jeu via un support PC. Les consoles de salon se présentent plus comme boite noire, il est beaucoup plus difficile d’atteindre le code source du jeu pour le transformer et y greffer ses modifications.

[2On comprendra ce terme comme étant passionné d’informatique. Ces dernières années les hackers ont souvent été confondu avec les crackers qui, eux, sont experts pour passer outre les systèmes de sécurité informatique.

[3Pour paraphraser le l’ouvrage de Patrice Flichy, L’imaginaire d’Internet, Paris, La découverte, 2001.

[4 « Faire soi-même » les jeux vidéo : l’exemple de l’additiel, Ludomag, en ligne : http://www.ludovia.com/2008/09/faire-soi-meme-les-jeux-video-lexemple-de-ladditiel/ [page consultée le 30 septembre 2013].

[5Fusaro, M., Bonenfant, M., L’étude des jeux vidéo en ligne : une analyse des processus communicationnels dans une perspective d’innovation sociale et technologique, p. 42, en ligne : http://www.essachess.com/index.php/jcs/article/view/84 [page consultée le 26 septembre 2013].

[6On trouvera un des référentiels existant des mods à cette adresse : http://www.moddb.com/ [Page consultée le 2 octobre 2013].

[7Fusaro, M., Bonenfant, M., op.cit., p.38.

[8Deux jeux de type First Person Shooter (FPS) très connus dans le milieu du jeu vidéo.

[9Grospixels, Mods : l’apport des joueurs au jeu vidéo, en ligne : http://www.grospixels.com/site/mods1.php [page consultée le 26 septembre 2013].

[11First Person Shooter, jeu de tirs à la première personne.

[12Le jeu Minecraft est souvent défini comme un jeu « bac à sable ». Les joueurs se promènent dans divers paysages cubiques : désert, bois... et y construisent, à l’instar du jeu de construction « Lego », l’environnement qu’ils désirent : maisons, monuments, etc. Le jeu rencontre un grand succès depuis sa sortie (2011) notamment grâce à son côté multijoueur et ce, malgré son aspect graphique en deçà de la norme actuelle.

[13http://www.curse.com/bukkit-plugins/minecraft/governments [Page consultée le 2 octobre 2013

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