La réception du péplum

La réception du péplum dépend fortement de la réception du genre auquel il appartient. Un genre se définit par l’horizon d’attente qu’il propose, une sorte de contrat de lecture (un contrat de vision). Sous cet angle, le genre conditionne la vision du film ou de l’œuvre. On peut résumer le genre à des films qui « racontent des histoires familières avec des personnages familiers dans des situations familières [1] ». On pourrait rajouter que le langage cinématographique propre au genre est également familier.

On peut sous-diviser le genre Péplum en deux sous-genres qui présentent comme points communs qu’ils situent leur récit dans l’antiquité.

Le peplum américain : il s’axe globalement autour de deux thèmes : l’ancien et le nouveau testament ou Rome, parfois la mythologie. Il se caractérise d’un point de vue formel par le grand spectacle, la figuration pléthorique et les décors colossaux.

Le peplum italien : dans un contexte pouvant être merveilleux, un héros tout en muscle vainc une adversité méchante à la force de sa poigne et peut gagner les faveurs d’une héroïne ou rétablir une cause dans son bon droit (les séries des Hercule ou des Maciste). Proche du genre aventurier. A côté de ce socle, toute une production italienne s’axe aussi sur un ensemble plus proche du peplum américain et se mêle volontiers à du cinéma catastrophe (Les derniers jours de Pompéi - Mario Bonnard et Sergio Leone, 1959, Le Colosse de Rhodes – Sergio Leone, 1961, etc.) plus spectaculaire bien qu’incomparable avec le cinéma américain.

A côté de ces deux axes majeurs, on peut relever l’apparition ponctuelle de sous-genres comme le peplum décadent (érotique ou sulfureux) : l’image de la décadence romaine est le prétexte à un récit métaphorique d’une société qui s’effondre moralement (Le Satyricon – Fellini, 1969 ; Caligula - Tinto Brass, 1979,…).

Il existe également une longue liste de films qui se situent dans l’antiquité sans forcément intégrer les codes des genres décrits, ce sont des films a-génériques, souvent à prétention historique.

Le genre et le public

En se caractérisant par un horizon d’attente le genre s’adresse déjà à un public supposé constitué. La constitution de ce public est en soi un processus qui prend du temps et qui peut traverser les genres narratifs. Ainsi, le péplum est issu des grands succès littéraires, du théâtre, voire de la peinture tragique du XIXe ; eux-mêmes inspirés par des textes classiques comme ceux de Shakespeare, voire par les traductions de Plutarque. Le XXe siècle du cinéma est jalonné d’entreprises commerciales qui prennent l’Antiquité comme toile de fond et qui donnent forcément au péplum une notoriété toute particulière.

La chute financière des grands studios américains dans les années soixante interdisait dorénavant des risques inconsidérés et le cinéma à grand spectacle a connu une éclipse importante. Les années 70 virent le cinéma américain redéfinir les horizons d’attente et donner de la substance à de nouveaux genres : le film de guerre (propice à l’exploitation du Vietnam), le film de science-fiction et, surtout, le cinéma d’horreur devenu le genre le plus accessible et le plus répandu. Finalement, les productions américaines ont abandonné le péplum pour explorer de nouveaux horizons, en perpétuelle négociation avec le public.

De son côté, le cinéma italien n’a pas changé ses méthodes de travail mais le péplum, surexploité, se reconverti rapidement dans le western, quittant un passé mythifié pour explorer un passé plus proche qui conjugue les ressorts de la société contemporaine, capitaliste, avec un continent à conquérir. L’argent et la renommée devenaient des moteurs dramatiques tout à fait fonctionnels, difficiles à introduire dans le péplum. Par la suite, après un passage par l’horreur et des sous-sous genres de plus en plus dépourvus de moyens, le cinéma italien populaire finit par mourir.

La permanence des schémas

Au niveau international, les ressorts actanciels du péplum classique ne se sont pas éteints avec lui. L’aventure et les univers merveilleux, exotiques, ont, au contraire, connu un engouement qui provient à la fois de la littérature et du monde des jeux. La Fantasy, genre qui désigne notamment le Seigneur des Anneaux, a commencé à se populariser dans le monde anglo-saxon à la fin des années soixante. Parallèlement, l’Antiquité était désertée au cinéma mais on retrouve cependant de nombreuses recettes du péplum dans l’émergence du genre de la Fantasy dans le cinéma américain.

La première adaptation du Seigneur des anneaux date de 1978 (un film d’animation de Ralph Bakshi), puis vinrent des succès comme Conan le barbare (John Milius, 1981),

adaptation d’un roman d’heroic fantasy américain de Robert E. Howard (premier volume en 1922) ; puis Kalidor, la légende du talisman (Richard Fleischer,1985), Legend (Ridely Scott, 1985), Willow (Ron Howard, 1988), etc. On retrouve dans certains de ces productions des éléments en provenance de péplum, notamment ce qu’il a pu avoir de fantastique mais aussi la présence de culturistes (dont bien évidemment Arnold Schwarzenegger). Les films sur les amazones ont fait passer cet archétype féminin et machiste des univers antiques à ceux de la Fantasy. Conan est très certainement une prolongation du héros du peplum, à la philosophie simple et tout en muscle.

A ce titre, Jason et les argonautes (Don Chaffey, 1963), peut être compris comme le grand précurseur du cinéma de Fantasy qui alimente aujourd’hui les salles. Le spectaculaire ne relève plus d’une figuration pléthorique ou de décors colossaux mais de la part de magie que le cinéma parvient à réaliser grâce au maquillage et aux effets spéciaux.

Si le lien génétique se vérifie au niveau du cinéma, les genres sont pourtant distincts quant à leurs références. Le péplum puisait dans une littérature classique et dans l’exploitation de l’histoire antique ; la Fantasy naît pour l’essentiel des fictions oniriques de l’Angleterre victorienne (Alice au pays des merveilles, Peter Pan, puis le Seigneur des anneaux ou le Monde de Narnia) conjointement avec celle des USA (Conan pour l’essentiel). Le développement du jeu de rôles dans les années 1970 s’empare de cette littérature et la popularise auprès de la jeunesse à titre de contre-culture. Cette jeunesse est devenue aujourd’hui productrice de la culture cinématographique dominante.

Si le cinéma de Fantasy n’est pas le péplum transformé, il se définit cependant comme un genre qui propose, grosso modo, ce que le péplum proposait : un horizon d’attente caractérisé par l’aventure de personnages héroïques qui affrontent des ennemis dans des univers complets et exotiques qui se conçoivent comme des paradigmes. Mais l’Histoire y est la grande absente.

Thématiques sous-jacentes

Le péplum américain s’est aussi caractérisé par un investissement idéologique dans le passé. A de nombreux titres, Rome était la métaphore du totalitarisme soviétique, contre laquelle s’élevait un christianisme libertaire ou des peuples d’esclaves. Souvent, les péplums américains se donnent à lire comme des discours idéologiques sur les USA, et sur les rapports entre les USA et le monde.

La fin de la Guerre froide a bouleversé les représentations du monde et l’image de l’Américain libre contre la dictature romaine s’efface au profit d’une autre exploitation du souvenir romain. En effet, après la chute du Mur de Berlin, on a volontiers parlé de Pax Americana et d’Empire au sujet des USA. Dans les représentations, Washington s’est substitué à Rome et les luttes entre Sénat et l’Empereur sont plus volontiers associées à la nature du régime présidentiel américain (Gladiator, Ridley Scott, 2000). La Rome antique et syncrétique est devenue la métaphore de la société moderne et occidentale, que menace la décadence et dont la domination est contestée par des barbares périphériques. Les vieux péplums ne correspondent plus à cette représentation du monde, ils ont perdu leur pouvoir métaphorique et idéologique.

Pourquoi est-il difficile de montrer les vieux péplums au jeune public ?

Les changements de genre : avec l’apparition de nouveaux genres qui mobilisent des publics constitués, l’horreur et la Fantasy, les péplums ont en quelque sorte perdus leur public, aujourd’hui les codes anciens ne constituent plus un horizon d’attente. Les nouveaux films sur l’Antiquité se donnent donc à voir plutôt comme des films a-génériques. Certains puisent leur codes non plus dans des époques genrifiées, mais dans des schémas dramatiques bien particuliers : ainsi celui de la bataille pour Troie (Wolfgang Petersen, 2004) ou 300 (Zack Snyder, 2007) ; ou les codes des séries télévisées pour Rome (série télévisée, HBO, 2005-2007). Ces œuvres utilisent l’Antiquité non pour ce qu’elle aurait de conventionnel mais pour ce qu’elle a d’original, voire d’exotique. C’est sans doute pourquoi Rome se permet une historicité poussée ou, a contrario, pourquoi Troie et 300 se permettent tout le contraire. Leur univers se découvrent à travers le film, ils font moins écho à des clichés.

Les changement de préoccupations : les schémas idéologiques, les mythes des péplums, n’ont plus la même portée métaphorique, le monde a changé. Outre ces éléments propres au genre, deux facteurs sont également déterminants pour comprendre le manque d’attrait de ces anciens films.

La technologie : conçus souvent pour être des films à grand spectacle, les peplums ne correspondent plus à ce qui fait aujourd’hui d’un film, un grand spectacle. A l’époque, le format scope était nouveau, l’argent était massivement investi dans les décors, les costumes et la figuration. Mais ces critères ont fortement évolué, aujourd’hui le spectacle provient essentiellement de l’immersion dans l’action et des effets spéciaux. Grâce au numérique, les vieux décors de Cinecitta sont obsolètes, quelque soit leur taille, en témoigne les vues saisissantes de Gladiator qui, en quelques pixels, ridiculisent les tentatives de reconstitution des anciens films.

Le langage cinématographique : la manière de raconter une histoire a également fortement évolué. Le montage est devenu le moment fatidique pour faire un film. La durée des plans s’est raccourcie, l’action est plus trépidante, la perception de la temporalité du récit s’en trouve changée. La photographie a également fortement évolué. L’éclairage perçu comme plus réaliste du cinéma d’aujourd’hui – celui de la série Rome par exemple - jure avec les couleurs criardes des classiques. Ces deux éléments rendent dès lors, pour un public peu disposé à faire un effort lors de la vision, les vieux films pénibles. Alors qu’ils étaient à l’époque à la pointe de la capacité du cinéma à absorber le spectateur.

Comment utiliser des péplums sans buter sur cet obstacle ? Les anciens peplums ne fonctionnent plus comme des moments divertissants et les utiliser en espérant évoquer des notions à inculquer s’avère bien souvent un échec. Mais l’utilisation de séquences courtes, choisies pour leur contenu, peut encore absorber. Elles peuvent permettre de mettre le doigt sur des dimensions historiques bien précises (l’esclavage, le sénat, etc.).

Faire appel aux sensibilités du public peut l’aider aussi à appréhender ce que doivent les productions contemporaines aux anciens films. Ils peuvent aussi aider, par leur étrangeté à faire réfléchir sur l’évolution du langage cinématographique. Enfin, leurs représentations politiques permettent aussi d’aborder des sujets indirects comme les visions du monde de telle ou telle époque.

Daniel Bonvoisin
Décembre 2008

[1Barry Keith Grant, cité par Helen Faradji, L’expérience du spectateur face au film de genre : le double miroir, Cahiers du gerse, numéro 5, in "L’expérience d’aller au cinéma. Espace, cinéma et médiation", sous la dir. de Charles Perraton, 2003, UQÀM, Montréal.

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