36 entretiens réalisés auprès de Belges francophones

L’importance relationnelle des médias d’information

Quels rôles joue la consommation des médias d’informations dans l’entourage ? Le goût pour une source d’information provient-il de l’éducation familiale ? Quelle est l’importance des réseaux sociaux pour la transmission d’une actualité ? Au-delà de l’information que les médias délivrent, ces questions s’adressent à leur fonction active dans les relations entre personnes. Pour cerner cette présence, des étudiants ont interviewé 36 informateurs sur cette dimension de leur rapport à l’environnement médiatique.

Dans le cadre d’un atelier universitaire portant sur les usages des médias d’information dans un environnement marqué par la multiplication des supports et des plateformes d’information, six étudiants de troisième année de bachelier à l’Université Saint-Louis – Bruxelles ont enquêté sur la manière dont se manifestent les relations interpersonnelles entre un individu et son entourage à travers l’usage de médias d’information. À l’heure où l’on entend beaucoup parler du fait que notre société fait face à une individualisation croissante de l’information, cette analyse s’intéresse au lien social comme horizon de référence qui donne sens aux pratiques (JOUET, J., 1993). Elle s’attache à montrer comment les relations sociales (comme lieux d’expression de la subjectivité et d’interaction avec autrui) et les usages des médias d’information se façonnent mutuellement. Ainsi, diverses logiques ont pu être mises au jour et regroupées en quatre thèmes d’analyse s’inspirant des travaux de James Lull sur la consommation télévisuelle (LULL, 1980) : l’initiation sociale, la consommation avec l’entourage, la participation à des discussions et les relations de pouvoir.

Cette analyse s’appuie sur une méthodologie quali-quanti appelée Q-methodology. Chaque informateur était invité à placer 36 cartes médias – identifiant chacune une catégorie de médias d’information particulière accompagnée de quelques exemples – dans les différentes cases d’une grille standardisée. La consigne donnée à chacun des 36 informateurs (avec une diversité de profils sociodémographiques) était la suivante : ordonner les cartes selon que le média joue un rôle dans la vie de tous les jours ou non. Chaque placement devait être commenté « en pensant tout haut », avec une possibilité de case neutre pour les médias inconnus ou à propos desquels il n’y avait pas d’avis tranché. Tandis que le placement des cartes dans la grille produit des données quantitatives pouvant être analysées statistiquement, l’entretien qui se déroule en même temps fournit des informations qualitatives. Ce sont ces dernières qui font l’objet de l’analyse proposée ici.

Initiation sociale

L’initiation sociale consiste dans le fait que l’usage des médias d’information se développe via des relais informels, présents dans l’entourage, de diffusion de savoirs, de médias ou de pratiques (BOULLIER, D., CHARLIER, C., 1997). Cette logique relationnelle peut se décliner de diverses manières comme le partage, l’imitation et l’usage rituel.

Du fait des nombreuses possibilités d’échanges d’information liées aux nouveaux médias, notamment, le partage semble incontournable chez beaucoup de nos informateurs, y compris chez les moins impliqués d’entre eux. Il consiste à consommer un média d’information sous la proposition d’un membre de l’entourage – en particulier via internet et les réseaux sociaux – ou à se voir transmettre physiquement de main en main un média d’information.
« Il y a pas mal d’informations d’actualité qui passent par Facebook [...] retransmis via des amis ou autres. [...] Si l’article, le sujet m’intéresse, je vais aller le lire à fond. » (BEFR11)

Cependant, dans le cadre familial, l’inverse est aussi vrai : l’accès à certains médias d’information peut être limité par l’entourage, à la fois par les parents qui ont un rôle d’éducation et de protection vis-à-vis de leurs enfants, et par les enfants qui imposent à leurs parents de nouveaux modèles de consommation.
« [...] parfois quand on mange, RTL ben, il y a des images un peu gores, je demande au petit de regarder ailleurs » (BEFR31) « [Mes enfants] sont plutôt des coupeurs d’actualité, c’est moi qui doit aller lire le journal car ils regardent la télé. » (BEFR27)

L’imitation quant à elle – entendue comme l’utilisation d’un média d’information en raison d’un usage actuel ou passé de ce même média par un membre de l’entourage – est moins évoquée mais semble malgré tout jouer un rôle important dans le quotidien de certaines personnes.
« La DH [...] comme quotidien, c’est parce que mon papa avait ça aussi. » (BEFR21)

Enfin, l’usage rituel, qui est le fait d’une consommation systématique et ancrée dans le quotidien d’un média d’information, entre régulièrement en résonance avec le journal parlé du soir qui semble, pour une bonne part de nos informateurs, être une habitude de rendez-vous prise dès le plus jeune âge et qui se perpétue bien après avoir quitté le domicile familial.
« Ça j’ai toujours regardé, depuis que je suis petit. En fait, c’était une institution dans la famille et de le regarder, et de passer à table après les JT. » (BEFR19)

Par rapport à ces différentes logiques, il ressort que l’initiation sociale serait plus opérante dans le cadre de la transmission familiale qui ancrerait davantage des routines de consommation que les amis ou le monde professionnel. Cette constatation rejoint notamment les observations de Serge Proulx pour qui « […] les significations qu’une personne associe à l’usage qu’elle peut faire des différents médias trouvent fréquemment résonance d’abord dans les expériences acquises pendant l’enfance au sein de la famille d’origine et, enfin, tout au long du développement de sa vie d’adulte  » (PROULX, S., 1995, p. 131).

Consommation avec l’entourage

La consommation avec l’entourage vise toute consommation d’un même média avec un membre de l’entourage au même moment et dans un même lieu. Cette consommation peut jouer différents rôles au sein des relations interpersonnelles ou familiales comme la création d’une culture familiale, le développement de savoirs et de savoir-faire ou l’instauration d’une hiérarchie.

Parmi les médias d’information mobilisés, il ressort que la télévision est le média que les interviewés consomment le plus avec au moins une personne de leur entourage et plus particulièrement avec leur famille. Quant au type de programme, il s’agit le plus souvent du journal télévisé, « [p]robablement en raison du fait qu’il est diffusé à l’heure du repas du soir [...] » (PROULX, S., 1995, p. 135).
« [...] c’est pas que j’en ai un [de journal télévisé] préféré ... Mais bon comme on mange généralement vers 7h on le met à 7h. […] Après si on mange plus tard, on le met à 7h30. » (BEFR31)

Ainsi, certaines personnes évoquent l’importance de se tenir au courant de l’actualité quotidienne via la télévision et le journal parlé. Lorsque cet intérêt semble rejoindre celui du partenaire, le visionnage du journal télévisé se fait alors le plus souvent de façon conjointe.
«  Je regarde plus [le journal télévisé] le soir avec mon mari. On regarde plus à deux. [...] C’est quelque chose de très important aussi de savoir ce qui se passe dans la journée. » (BEFR25)

Pour certaines personnes, c’est l’occasion d’échanger avec le partenaire ou les enfants. « Avec les proches, en famille c’est une façon d’être informé, de parler de quelque chose d’intéressant au dîner [...] et puis c’est toujours gai de euh partager cette information. » (BEFR20)
La consommation ensemble peut aussi avoir pour objectif la préparation à des discussions futures (voir ci-dessous).

En outre, certains informateurs justifient leur consommation de la télévision en famille par l’idée d’« éducation » ou encore d’« habitude ». Comme déjà évoqué dans le point précédent, ces personnes reproduisent dans leur famille actuelle des routines médiatiques intériorisées dans leur famille d’origine du fait d’une consommation collective de certains médias d’information. C’est ce que Serge Proulx appelle l’identité familiale, c’est-à-dire une identité construite socialement par les « […] usages domestiques des médias, et plus particulièrement, à travers les usages de la télévision » (PROULX, S., 1995, p. 124). Il y a donc une culture télévisuelle qui se crée et qui « […] recouvre également les routines et les habitudes d’usages (exemples : regarder la télévision pendant le repas du soir ou, au contraire, fermer le poste dès que l’on s’assoit à la cuisine) [...] » (PROULX, S., 1995, p. 125).
« Et de fait-là maintenant je ne vis plus avec les parents bah instinctivement... Fin j’attends le journal parlé avant de manger avec ma compagne [...] c’est une habitude qui s’est installée. » (BEFR26)

Il ne faut toutefois pas occulter le fait que quelques-unes des personnes rencontrées ne consomment effectivement pas la télévision ou le journal télévisé en compagnie d’un membre de leur entourage. D’autres encore, si elles regardent effectivement la télévision en famille, ne considèrent pas que celle-ci joue un rôle important dans leur vie.

Participation à des discussions

Serge Proulx explique (en évoquant les travaux de James Lull) que la télévision permet d’initier des conversations et d’approfondir des échanges entre membres de la famille (PROULX, S., 1995). Ces conversations et échanges ont lieu grâce à la télévision qui sert de prétexte à la discussion, échanges qui peuvent également survenir hors des situations d’écoute. Cela vaut particulièrement pour les médias d’information : « [l]es contenus d’actualité sont alors considérés comme une sorte de ‘monnaie pour les échanges sociaux’  » (GRANJON, F. et LE FOULGOC, A., 2011, p. 28). De fait, pour certains informateurs, l’actualité consommée via les médias d’information est une (res)source de conversation.
« Je lis souvent la DH parce que c’est super important pour garder un contact avec son personnel et avec ses ouvriers. » (BEFR35)

D’autres informateurs évoquent l’importance de l’utilisation d’internet dans l’approfondissement d’une problématique d’actualité, cela leur permettant d’avoir une meilleure maîtrise du sujet et d’affirmer leur point de vue. En effet, « [l]a consommation d’information sur Internet répondrait notamment à une logique d’activation, les individus complétant par des consultations en ligne certaines des informations d’abord trouvées dans les médias traditionnels  » (STEMPEL, G., H., 1999, repris par GRANJON F. et LE FOULGOC, A., 2011, p. 33).
« Ce que j’ai entendu ou vu soit à la TV, lu dans le journal ou approfondi un petit peu avec Internet, je peux en discuter autour de moi avec disons un petit plus d’aplomb. » (BEFR20)

Par ailleurs, le partage d’informations d’actualité via internet peut être perçu comme un moyen d’amorcer des discussions.
« Je partage moi-même aussi sur Facebook, par exemple, quand quelque chose me choque ou m’intéresse beaucoup. » (BEFR04)

Relations de pouvoir
Alors que les observations faites plus haut mettent à l’honneur l’horizontalité des usages relationnels des médias d’information, cette dernière thématique d’analyse, transversale aux autres, conduit à s’interroger sur l’interdépendance entre les relations de pouvoir, notamment au sein de la famille, et les manières de s’informer. Cette thématique permet de mettre en évidence le fait que les rapports sociaux de genre imprègnent les usages des médias d’information, par exemple le choix des programmes ou des médias et la distribution sociale de « l’expertise » en matière d’actualité.
« [Mon mari] lit tous les jours [...] les deux journaux qu’on a [...]. Et c’est lui justement qui me dit ‘tu dois voir, il y a ça et ça sur, c’est intéressant à voir’ » (BEFR34)

De même, l’usage des médias d’information n’est pas indifférent aux rapports d’autorité au sein de la famille.
« Mes parents sont très ‘radio’ donc je suis forcée de l’écouter, entre guillemets.  » (BEFR12)

Il est évident que tous les comportements médiatiques des personnes rencontrées ne sont pas dus à leurs relations avec leur entourage, plusieurs informateurs ayant souligné leur démarche personnelle quant à la consommation de certains médias d’information ou à la formation de leur opinion.

Pour conclure, notons que les médias d’information dits « traditionnels », c’est-à-dire la télévision, la radio et la presse écrite, sont souvent plus prégnants dans les usages relationnels, en particulier lorsqu’il s’agit de consommer un média avec une personne de son entourage familial. Cependant, avec l’avènement des réseaux sociaux, de nouvelles manières de créer du lien social au-delà de l’entourage immédiat ont émergé, notamment au travers du partage d’informations et de l’engagement des discussions avec d’autres personnes.

DE DORLODOT Harold
DUBOIS Savannah
GARCIA GOMEZ Laura
GORREMANS Béatrice
LE HODEY Alexis
VAN HOOLANDT Delphine
DUFRASNE Marie
PATRIARCHE Geoffroy
BONVOISIN Daniel

Références

 BOULLIER, D., CHARLIER, C., « A chacun son internet », Réseaux, n°86, pp. 159-181.

 GRANJON, F., LE FOULGOC, A., « Penser les usages sociaux de l’actualité », Réseaux, n°170, 2011/6, pp. 17-43.

 JOUET, J., « Pratiques de communication et figures de la médiation », Réseaux, 1993, n°60, pp. 99-120.

 LULL, J., « The social uses of television », Human Communication Research, vol.6, n°3, 1980, pp.197-209.

 PROULX, S., LABERGE, M.F., « Vie quotidienne, culture télé et construction de l’identité familiale », Réseaux, n°70, 1995, pp. 121-140.

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