Faut-il éduquer à la téléréalité ?

Les émissions de téléréalité connaissent un succès considérable à travers le monde, particulièrement auprès d’un public jeune. En même temps, elles subissent des critiques virulentes. L’école a-t-elle un rôle à jouer face à cette déferlante télévisuelle ? Et comment peut-elle répondre aux interrogations des enfants tout en poursuivant son objectif éducatif ?

A ce questionnement, un préalable s’impose : quelle définition donner à la téléréalité ? A bien y réfléchir, n’est-ce pas la télévision dans son ensemble qui peut être mise sur la sellette ? Si l’on s’en tient à comparer l’information d’actualité
traitée dans la presse écrite avec cette même information issue d’un JT, on relèvera des spécificités propres à chaque média. La télévision privilégiera souvent le témoignage de proximité au détriment de l’expertise qui trouvera plutôt sa place dans des reportages d’analyse.

François Jost, analyste des médias, proposait deux pistes d’exploration. D’une part, dans le journal télévisé et dans la téléréalité, on retrouve trois caractéristiques communes :
 La réduction du réel au visible.
 Le témoignage comme preuve en opposition avec ce que l’on sait d’un témoignage qui peut souvent s’avérer comme contestable
 L’effacement

D’autre part, la téléréalité est avant tout une émission qui subit un montage. Une séquence montrant un participant qui noue ses lacets peut paraître bien longue, alors le réalisateur opère sur le contenu pour ne retenir que les moments qui vont provoquer une émotion chez les téléspectateurs. Généralement, les candidats
rejouent d’ailleurs ce que leur demande le réalisateur. Pour éviter les dérapages, les rares moments décrits comme « en direct » et qui allèchent le public, sont diffusés avec 2’45’’ de décalage !

La téléréalité est-elle une info réelle ?

D’un jeu qui prétend montrer la réalité, on n’évite pas le glissement vers le fictif comme le propose le schéma ci-dessous :

Deux solutions s’imposent aux producteurs des émissions de téléréalité. Soit continuer la spirale qui oppose le documentaire « réalité » avec le documentaire de fiction un peu comme une « chaleur glaciale », soit refaire le tour du triangle (comme le propose l’émission « gloire et fortune » sur M6) qui montre les codes aux téléspectateurs. La question à laquelle il convient donc de répondre pour aborder la thématique en classe est la suivante : la télé – réalité est-elleune info réelle ?

Car, c’est bien de là que naît notre préoccupation d’adulte : quelles sont les limites entre le réel et la fiction ? A travers ces émissions, n’assiste-t-on pas à un formatage des idées et des attitudes (importance des langages) au détriment de la défense des valeurs universelles ? Les enfants spectateurs des émissions de TR ne
vont-ils pas penser que la seule valeur est « chacun pour soi au service d’une réussite rapide » ?

« Du banal au drame, des rires aux larmes »

Analysons donc une de ces émissions pour en extraire les principaux ingrédients. On notera d’abord le côté « confessionnal » qui consiste à présenter un ou une candidate face à la caméra, exprimant ses états d’âme. Il y a ensuite cette volonté de compétition qui réveille notre cerveau reptilien nous rappelant que la sélection se fait finalement par loi du plus fort et l’élimination…

Le témoignage intimiste est le troisième point commun de la TR où s’amorcent nombres d’échanges sentimentaux… Mais l’aspect le plus généraliste de la téléréalité est sans doute la caméra indiscrète qui montre, de cette manière, un vécu le plus brut possible. Au niveau de la réalisation, on remarque la multiplication des caméras et la foule de gens qui interviennent.

Vue de l’intérieur, la téléréalité est tout sauf de la réalité. L’interprétation que l’on peut en avoir est une mise en scène qui travestit le document, la fiction et le reportage. Dans l’histoire de la télévision, un des tout premiers documentaires
était « la sortie de l’usine » des Frères Lumières dans lequel tout était écrit et mis en scène.

Tout dire, tout de suite, tout le temps

Par les langages utilisés et ce flou qui ne distingue plus la fiction du réel, l’actualité se limite au spectacle. On privilégie le vécu et l’émotion pour l’expliquer alors que c’est l’expertise qui explique le monde. Le fait divers devient l’info de la Une. Ce langage induit une surenchère dans la représentation la plus excitante possible : tout dire, tout de suite, tout le temps.

On comprend dès lors la très haute charge idéologique qui est véhiculée à travers les programmes de télévision. Le public en redemande ? Bien sûr, mais ne confondons pas la demande et la réaction à l’offre.

Et vous, M’sieur, qu’en pensez-vous ?

Il nous semble donc important de ré-investir le sujet en suscitant le débat avec les enfants. Dire les choses pour les démystifier. Savoir parler à partir de quelque chose qui concerne les élèves. L’apprentissage de la lecture et de l’écriture se déroule dorénavant dans une société médiatique et il convient d’en donner au moins l’accès à l’école. Une institutrice disait dernièrement : « J’aimerais que mes élèves soient plus critiques mais j’aimerais être moins ringarde et mieux connaître ce dont ils parlent. » Cette attitude, qui nous semble positive, car elle choisit de
parler de quelque chose qu’elle maîtrise moins que ses élèves, amène à la formation à la téléréalité. La stratégie développée est de visionner un extrait pour susciter la créativité : ré-écrire, rejouer…

Dans un des numéros de la célèbre revue « Téléstar », on trouve l’article suivant : « riche et célèbre, dix conseils pour suivre les pas de Loana… ». N’est ce pas un message précaire pour les enfants de l’école primaire ? Pourquoi se casser la tête alors qu’on peut suivre la voie royale ? Pour les enseignants, il importe de pratiquer une mise à distance, de s’affranchir par rapport à l’image, à son contenu et à ses influences.

Pour les jeunes, la télé-réalité donne souvent et malheureusement de mauvaises réponses à de vraies questions ! En guise de conclusion, éduquer aux médias et à la téléréalité permet d’augmenter l’intelligibilité de ce type de dispositif. Eduquer, c’est déplacer l’enfant par rapport à ce qu’il sait et ce qu’il croit. L’acte éducatif permet à chacun de mieux se situer par rapport à la société. Pour y parvenir, il est utile de s’appuyer sur l’histoire de la télévision : chaque nouveau média a posé des problèmes et la téléréalité peut être considérée comme un nouveau média. Il importe d’alterner l’approche globale (dimension économique…) et l’approche locale (détails, langages).

Mais la téléréalité, si elle est considérée comme un objet d’apprentissage critique, ne deviendra certainement pas le grand méchant « loup garou » du XXI siècle.

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