Facebook, dégage de ma vie… au moins un jour par an !

C’est le 28 février, jour de la Saint Romain qu’a été fixée la « Journée mondiale sans Facebook », un non événement donc, qui s’apparente aux autres Journées mondiales… mais plutôt « contre … ». Dans le sens où, comme pour une addiction, il y aurait lieu de s’unir et de protester. C’est d’ailleurs en ce sens que le site « journee-mondiale.com l’évoque, invitant à « lutter contre l’addiction à la cyber dépendance, protester contre les pubs qui se font passer pour de l’information et rappeler à Facebook qu’ils ne seraient rien sans leurs clients... ». Un tremplin d’Education aux Médias ? Pas si sûr !

Difficile de dire à quand remonte le concept de la « Journée mondiale ». Toujours est-il que le site internet qui référence ces journées [1] existe lui depuis 2004. L’historique mentionné en pied de page précise que «  la recherche documentaire s’est révélée très vite fastidieuse et la détection des journées mondiales existantes rapidement doublée d’un travail de vérification de la "validité" de celles-ci...  ». On ne s’auto-proclame en effet pas Journée Mondiale. Quoique.

En effet, si l’on regarde qui sont les postulateurs de la cause, on relève selon les cas, des organismes internationaux ayant pignon sur rue, des ONG et des collectivités à la notoriété incontestable, des associations et des groupes de pression bénéficiant d’une large popularité. S’occupant de divers objets sociaux ou défendant des causes humanitaires les unes plus charitables que les autres, on les admet donc sans protestation aucune, comme pouvant se prévaloir d’initier une nouvelle date au « calendrier des Journées mondiales ».

Qui chercherait en effet à s’opposer à l’existence d’une Journée mondiale de lutte contre la lèpre (Raoul Follereau – 25 janvier), d’une Journée mondiale pour l’abolition de l’esclavage (Ministère de la Culture en partenariat avec l’UNESCO - 2 janvier), d’une Journée mondiale de la Femme (ONU – 8 mars), d’une Journée mondiale de la biodiversité (Vague verte – 22 mai). Il ne manque en effet pas de causes autour desquelles se mobiliser.

Toutefois, si l’on regarde la manière dont ces Journées sont inscrites, on s’apercevra qu’il s’agira toujours d’options à prendre, de combats à mener pour atteindre quelque chose… ou au contraire pour tenter de réduire quelque chose. On se bat pour des valeurs, des objectifs. Des progrès à réaliser. Et, à contrario, on revendique la disparition de fléaux, la suppression de tendances jugées négatives, la non soumission à des attitudes préjudiciables à soi ou à la collectivité.

En l’occurrence, la « Journée sans Facebook » s’affiche en revendiquant une diminution, une disparition, un renoncement, un sevrage. Facebook serait présenté comme une substance toxique, un usage nocif, une pratique déplorable, un choix inapproprié, une erreur ou un manquement. Il serait de l’ordre du « dys ». Le focus est bien porté sur le réseau social américain et non sur toutes pratiques s’apparentant à celles d’autres réseaux sociaux. La dénonciation n’est pas non plus celle de tout l’internet… En effet, sans que l’on puisse être taxé de mesquinerie, remarquons que la Journée sans Facebook ne nous invite pas à renoncer à l’usage du courrier électronique, à la recherche documentaire en ligne, à la lecture de notre plateforme préférée de presse numérique ou à la lecture attentive de notre portefeuilles d’actions bancaires sur le net. Ce qui est pointé du doigt, c’est un certain type d’usages de l’ordinateur branché. Une dénonciation de ce qui s’apparente donc à du verbiage, entendez… du temps perdu, des propos sans importance, de la socialisation de bas étage. Rien qui vaille que l’on y consacre son précieux temps… Un mésusage qui justifie que l’on prenne conscience, au moins une fois par an, qu’y succomber est de l’ordre, si pas de la perdition, du moins du dysfonctionnement, de la maladresse.

Aucune nuance n’est apportée dans cette appellation qui permettrait d’abord de cibler au delà du Réseau social de Mark Zuckerberg, toutes les plates-formes de socialisation qui autorisent les échanges généralistes. Car en effet, à côté de Facebook, le plus connu et sans doute le plus utilisé de par le monde (plus d’un milliard d’utilisateurs actifs mensuel), il y a aussi les Google +, Youtube, Twitter, LinkedIn, etc. Voilà bien un jugement à l’emporte-pièce qui, en globalisant la critique sur le généraliste, n’introduit pas la nuance. Or, ceux qui les pratiquent vous diront qu’il y a peu de rapprochement à faire entre les contacts établis via Facebook et ceux qu’entretiennent les utilisateurs de LinkedIn. par exemple. Une première manière d’apporter de la nuance dans ce qui pourrait s’apparenter à un tir à boulets rouges sur des échanges anodins alors que d’autres platesformes de socialisation se révèlent être des outils de travail essentiels dont l’usage performant, quand il est bien orienté, autorise les interactions très … professionnels.

Dommage donc, ce manque de nuance qui aurait permis de bien pointer ce qui peut faire problème dans l’usage inconsidéré d’un outil de socialisation : le temps passé inconsidérement, la rencontre de personnes inappropriées, des confidences faites sans prudence aucune. La participation à des conversations au sujet douteux ou l’adhésion à des communautés aux idéologies ou aux engagements contestables. Peu importe l’outil, dans tous ces cas… ce qu’il faut réprouver alors, ce sont les orientations, les fréquentations, les excès. A ce titre, les dérapages sont tout aussi possibles avec Youtube, Google+, Twitter ou LinkedIn qu’avec Facebook. Si l’idée est bien d’éviter ceux-ci, focaliser sur une Journée sans Facebook, en laissant la porte ouverte à d’autres platesformes du même genre, c’est manquer sa cible.

Il serait d’ailleurs intéressant de savoir qui s’inscrit derrière la proposition de cette Journée sans Facebook. On comprendrait mieux ce que l’on est invité à prendre en compte. De quoi on devrait se déshabituer, à quoi on devrait définitivement renoncer.

S’agit-il d’un surinvestissement devant les écrans ? Ce n’est alors pas le seul Facebook qu’il faudrait incriminer, même si l’on peut être d’accord que le réseau social est un grand mangeur de temps. Car, à l’évidence, c’est aussi la globalisation des différentes tâches menées au clavier qui fait atteindre une totalisation excessive. Pourtant, derrière ces différentes tâches assistées par l’ordinateur, que de travaux importants réalisés avec minutie, que de contacts décisifs, que de temps de loisirs aussi où la détente trouve sa place. Est-ce alors l’usage de l’ordinateur qui est pointé… ou son corollaire : le manque d’activités physiques ?

Admettons donc qu’il faille reconsidérer l’investissement consenti au clavier. Est-ce alors en pointant Facebook du doigt que l’on y parviendra ? Pour nous en convaincre, supprimons Facebook de notre quotidien… Nous verrons que l’ordinateur continuera d’exercer sur nous son effet ventouse, tant elles sont nombreuses les tâches qui sont aujourd’hui réalisées en version numérique.

Réceptionner son courrier, le classer et y répondre. Voilà ce que chacun fait aujourd’hui de plus en plus en se connectant au réseau. En complément de cette activité de début journée, beaucoup s’adonnent à la lecture des informations du jour en consultant un site ou l’autre de presse en ligne. Ce temps de lecture à l’écran qui peut aussi consister dans le visionnement en différé d’un JT diffusé en ligne (VOD – vidéo on demand). Voilà déjà que les minutes se sont écoulées, juste pour s’informer. Voilà maintenant que je suis ouvert à une nouvelle journée de travail. Si mon job réclame la production ou le traitement de documents écrits, de plus en plus aujourd’hui, cette tâche incorpore l’utilisation d’outils bureautique (traitement de textes, feuilles de calculs, bases de données) de sorte que l’acte de rédiger se fait lui aussi, de plus en plus assisté par ordinateur.

Il est donc des professions qui réclament aujourd’hui, et sans qu’il faille y voir de l’excès mais plutôt de la nécessité, plusieurs heures de frappe au clavier. Nous n’avons pas mentionné dans ce travail, la recherche documentaire (consultation de manuels, de livres de référence, de dossiers) dont l’exploitation est de plus en plus effectuée en ligne. Evoquant tout ce temps passé à l’écran, nous n’avons pas un seul instant mentionné Facebook, ni aucun des réseaux sociaux. Mais peut-être avons nous trouvé normal de donner l’un ou l’autre coup de téléphone, à un collègue, un organisme, un partenaire… Cette prise de contact trouve pourtant aujourd’hui sa déclinaison dans la communication en temps réel via le réseau. Renoncer à Facebook une journée ne nous dispenserait pas alors de compenser par l’usage de son équivalent : le téléphone. Est-ce dès lors la communication qu’autorise l’outil qui est à dénoncer ? Non, bien sûr !

Contre quoi veut-on alors mettre en garde en disant « Un jour sans Facebook » ?

Michel Berhin, Chargé de mission en Education aux Médias

[1Un site qui les référence sans avoir mandat de qui que ce soit pour le faire, soit dit en passant, le concept appartenant à tous.

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