Dans mon fourbi de formateur : une galette des rois !

L’objet est pour le moins inattendu dans le cartable du formateur en Education aux médias. Dès sa présentation au groupe d’adultes en formation, il interpelle donc comme un « smilblick », ce truc indéfinissable, photographié en très gros plan et qu’il faut tenter d’identifier en faisant des suppositions sous forme de questions. Ici, une bande de carton imprimé, découpée à l’emporte-pièce et sur laquelle figurent deux visages et le mot « Avatar » rédigé dans une police de caractères qui en rappelle une autre.

Le but de la séance d’analyse qui démarre est de mettre en place la compréhension du fonctionnement d’une grille que l’on a décidé de prendre comme référent en Education en Médias : la grille des 6 dimensions. Elle est la déclinaison d’un outil d’analyse mis en place par Len Masterman, membre du British Film Institut, et qui l’a conçue pour structurer les observations que l’on peut faire sur une production audiovisuelle [1]. La communauté des formateurs en Education aux Médias se l’est appropriée à travers l’Europe entière aujourd’hui, et s’en sert pour tout support médiatique : du film à l’article de presse, en passant par le site internet ou la bande dessinée. Elle s’applique idéalement aux massmédias, mais fonctionne parfaitement pour tout support médiatique de communication : la carte de visite, le faire-part de naissance ou de décès, l’affiche de cinéma, le dépliant publicitaire…. Vu son degré d’adaptabilité tout terrain, l’outil est de ce fait devenu un référent d’analyse médiatique et se doit d’être intégrée dans la valise de tout bon formateur.

Kesako ?

Dans le cadre de la formation d’adultes aux pratiques médiatiques, elle constitue un passage incontournable, et la meilleure manière de mettre en place sa compréhension, c’est encore de se l’approprier dans un exercice pratique d’application. Raison pour laquelle cette bande de carton imprimé et prédécoupée à l’emporte-pièce figure dans ma boîte à outils. Dès sa présentation, les suppositions fusent : « support commercial, bannière décorative  » ? Il ne faut pas attendre longtemps pour qu’émerge la première bonne appréciation : une couronne en carton non encore dressée. Je mets donc en forme arrondie ce qui apparaît dès lors comme… « une couronne pour une galette des rois  » ! Yes ! On a identifié le support et un premier élément décisif livrant une partie du message (ce que nous appellerons les représentations véhiculées). La technologie qui a prévalu à la mise en forme est simple : du carton (car le papier est trop froissable). Une découpe à l’emporte-pièce, car la production est « en série ». Un design qui rappelle la couronne royale (surplombant un diadème du diamètre approximatif d’une tête, des formes récurrentes rappelant une sorte de fleur de lys… l’insigne de la cour de France…) un stéréotype pour « dire la royauté ». On s’aperçoit très vite que la technologie, le message (les représentations) et l’énonciation de celui-ci en recourant à quelques éléments de langage ont déjà débroussaillé trois piliers de notre grille à six dimensions. Mais il reste encore beaucoup de choses à faire parler. Alors, plutôt que de tout tirer de notre observation, nous entamons un va et vient entre l’identification de nouveaux éléments et la théorie qu’ils sont sensés illustrer et que je livre en un petit schéma hexagonal rapidement dessiné au tableau..

La grille d’analyse d’un média nous dit qu’il y a toujours un ou des producteurs, lesquels s’adressent à des publics cible. Ici, la chose paraît simple, à première vue : ceux qui ont produit la couronne, ceux à qui la chose apporte son bénéfice, « ce sont les boulangers-pâtissiers, vendeurs de galettes des rois  ». On ne peut qu’être d’accord avec la réponse produite assez spontanément. Pourtant, en se montrant plus exigeant, on peut aller plus loin dans l’analyse et faire apparaître des éléments plus fins d’appréciation. Un boulanger qui vend une galette des rois peut se contenter d’acheter chez son grossiste une couronne dorée comme la plupart le font. Pourquoi ici cette couronne particulière faisant allusion à « Avatar » ? Rapidement, la question reçoit sa réponse appropriée : il s’agit de l’évocation du film de James Cameron. Les tons bleus de l’ensemble (on parle alors de charte graphique), les personnages de Jake Sully et Neytiri et le titre « Avatar » respectant la police de caractères des supports de communication du film de 2009… tout concourt à faire identifier le rapport entre la galette des rois et le monde du cinéma. Mais où est l’intérêt ? C’est maintenant que le jeu de questions et réponses avec le groupe en réflexion se fait plus fin : « C’est que la couronne renvoie à la fêve !  » Bingo ! En effet, si le boulanger a choisi cette année de farcir ses galettes avec des fêves illustrant le film de J. Cameron, c’est qu’il espère être remarqué par les collectionneurs qui se fourniront alors plus volontiers chez lui que chez les concurrents. Le producteur, c’est donc un boulanger soucieux de faire mouche auprès d’un public-cible qui n’est pas seulement avide d’une bonne galette. Le boulanger chasse les « fabophiles ». Certes, pour se faire, il aurait pu miser sur le succès d’autres films… On trouve en effet beaucoup de fêves, véritables produits dérivés des ténors de l’industrie cinématographique (Studio Disney, etc). Mais nous sommes en 2009 et James Cameron a le vent en poupe. Voilà que mon support médiatique se révèle dans toute sa complexité et que la grille montre sa capacité à s’adapter à tout support de communication.

Récapitulons l’ensemble en faisant l’évocation systématique des six dimensions pour établir la typologie spécifique de notre objet médiatique.

Le support est une bande de carton imprimé et pré-découpée à l’emporte-pièce, du fait de sa production en série. Elle a été mise en vente par un grossiste qui fournit des boulangers-pâtissiers à l’approche de l’épiphanie. Parmi toutes les couronnes commercialisées cette année-là (2009), ce support particulier accompagne des fèves, produits dérivés liés à la sortie du film de J. Cameron, « Avatar ». Pour que l’on identifie immédiatement le sujet, des éléments codifiés de langage et de mise en forme ont été employés : l’apparence d’une couronne, les portraits des deux personnages centraux du film (un masculin et un féminin me dira quelqu’un dans le groupe, car la couronne coiffera aussi bien un roi qu’une reine), la charte graphique des supports de communication du film et la même police de caractères de sorte que l’identification soit immédiate. Le public-cible est donc double. Certes, les amateurs de galettes des rois verront que la vitrine devant laquelle ils passent contient bien l’objet de leur désir, mais ceux qui sont collectionneurs de fèves originales verront dans le choix de cette année, de quoi satisfaire leur passion de fabophiles. En fait de typologie, nous pouvons donc conclure que nous avons là un produit dérivé du monde cinématographique qui chasse dans la sphère très spécifique des collectionneurs de fèves.

La dimension commerciale qui n’est pas spécifiquement présente dans les six dimensions de la grille peut malgré tout être également évoquée. En effet, à toute production médiatique correspond un modèle économique qui le sous-tend. Ici, on peut dire que le choix de la couronne « Avatar » titille particulièrement la fibre du collectionneur. En effet, il est de tradition dans le monde de la fabophilie, de proposer un ensemble de figurines liées à un thème. Celui qui se prend au jeu cherchera alors à compléter la série entamée. Une recherche rapide sur internet nous apprendra qu’il existe en fait un coffret Collector comprenant, avec décoration à l’arrière, dix fèves « Avatar » plus une fève géante « Neytiri » inédite, en porcelaine peinte à la main, et avec logo. Et s’il ne s’agit bien sûr pas d’acheter autant de galettes pour tenter de rassembler la collection en risquant la crise de foie (vu le caractère aléatoire de la découverte de la fève cachée), on peut malgré tout imaginer que les collectionneur pousseront leur entourage à plutôt acheter des galettes farcies à la sauce « Avatar »… conseillant alors d’aller chez leur fournisseur du coin plutôt que chez tout autre.

C’est ça la communication ! Le choix d’un support adéquat (technologie) pour faire passer un message accrocheur (représentations) lequel se plie alors au respect de certains codes de communication (langages) pour qu’une cible (public) se sente concernée et réponde à l’invitation de l’émetteur (producteur).

Finalement, cela semble clair : un carton à bière, un masque de carnaval, un jeu de carte… tout objet qui communique convient pour fonder l’éducation aux médias dans ses 6 dimensions. Et une fois que l’on a compris comment fonctionne cet outil d’analyse, il s’applique avec aisance à tout support dit de massmédia, offrant six pistes d’interrogation pour replacer celui-ci dans l’envers du décor. Eduquer aux Médias, un programme vraiment alléchant dont vous serez roi ou reine… à condition de croquer la fêve !

Michel Berhin

[1Len Masterman, Teaching the Media, Routledge, 1986

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